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Mardi 9 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Récital de piano, Samuel Parent
RavelOiseaux tristes
DebussyEstampes (Pagodes, la Soirée dans Grenade, Jardins sous la pluie)
DebussyClair de Lune
AlbénizEl Albaicín
DebussyL’Isle joyeuse
Entracte
DukasSonate en mi bémol mineur
Samuel Parent : piano

Le premier récital de piano de cette troisième et dernière semaine du Festival Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence est confié au pianiste français Samuel Parent, qui aura fait ses premières classes au conservatoire d’Aix-en-Provence, avant d’atteindre une stature internationale. Ce pianiste raffiné, au jeu délicat et puissant, concentre son programme autour des compositeurs-pianistes français, hormis la pièce d’Albeniz, tels Ravel, Debussy et Dukas.

Le programme oscille entre musique pure – sonate – et musique thématique, dont le titre n’est plus générique mais propose une référence – externe à la musique – à un objet, un lieu ou encore une image… Mais il ne s’agit pas non plus de musique à programme, suivant les péripéties d’une narration. Elle introduit entre l’objet et sa représentation musicale une relation nouvelle, un espace de liberté dans lequel s’épanouit l’interprétation.

Ravel et ses Oiseaux tristes permettent au pianiste d’entrer imperceptiblement dans l’espace du son, propre à l’auditorium Campra. Le piano, tel un grand épervier noir, fais résonner son glas, non pas en direction de la terre, mais en direction du ciel, sous les doigts et l’écoute intérieure de l’interprète.

Les Estampes de Debussy déplient leur triptyque (Pagodes, la Soirée dans Grenade, Jardins sous la pluie) avec calme, frémissement et volupté. Une vision de l’Orient souffle sur les cordes du piano, alors que ce dernier se transforme en guitare, pulse ses motifs obsédants et ses petites « chansons », susurrées par Samuel Parent à « l’oreille de la mémoire » de chaque auditeur. La troisième Estampe amène l’élément aquatique, qui plonge le public dans un sentiment océanique ainsi qu’un bain de jouvence… « Nous n’irons plus au bois ».

Le Clair de Lune du même Debussy relève également de cette poétique de l’ondée qui se joue au bout des doigts et du son.

L’Albéniz d’El Albaicín vient apporter son soleil cru et aride, ses griffures et ses splendeurs. Le piano, devenu taureau dans l’arène, fait danser et miroiter un sable fin et brillant, à la faveur de l’imagination sonore du pianiste. Il nous mène jusqu’au Duende (transe obtenue dans la musique gitane par la musique et la danse).

Debussy revient une dernière fois, en apothéose, avec L’Isle joyeuse, qui nous plonge à nouveau dans l’eau lustrale, à la recherche d’une source sous-marine comme d’une terre idéale : embarquement pour Cythère…

La manière souple, ductile, d’arpenter le clavier propre à Samuel Parent est le fil conducteur de cette première partie de programme. Il se tisse dans la densité de l’instant.

Après l’entracte surgit des eaux le bloc de marbre qu’est la Sonate en mi bémol mineur de Dukas, peu jouée, et dépoussiérée par l’engagement total du soliste. Suite à l’élément aquatique, c’est maintenant l’élément terre qui domine, roche taillée par la forme sonate et par l’exécutant. Les quatre longs mouvements de l’œuvre oscillent entre ordre formel et chaos thématique, tandis que le pianiste en sécrète l’architecture secrète. Jeux sur les tessitures, sur les proportions et sur les planismes (les traits d’écriture mettant en valeur, jusqu’à la parodie, les possibilités du piano), tout est là, sous les dix doigts du pianiste, qui donne désormais, une dimension industrielle à la musique. Le creuset alchimique se transforme en haut-fourneau, en fonderie d’acier, afin de produire la pierre philosophale de la modernité. Telle est, restitué par Samuel Parent, l’énergie particulière de cette œuvre-monument. Il s’agit, pour le pianiste, de faire tenir tout un monde en fusion dans le cadre agrandi à l’extrême de la forme sonate, ses jeux de textures et de volumes, ses moments d’émotion graves et parodiques.

Le bis final de Samuel Parent, longuement applaudi, revient au Ravel des premiers instants du récital, sans quitter l’univers formel de la sonate, avec le menuet de la Sonatine, hommage à la forme et au dandysme sensible du piano français.

Florence Lethurgez
Musicologue

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Récital de piano, Leonel Morales

Jeudi 4 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Récital de piano, Leonel Morales
MozartSonate en ré majeur K311
BeethovenSonate n° 23 opus 57 en fa mineur, dite Apassionata
Entracte
BrahmsSonate n° 3 opus 5 en fa mineur
Leonel Morales : piano

La série de récitals offerts cet été par le Festival-Académie Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence se poursuit avec celui du pianiste cubain Leonel Morales. L’artiste, en interprète et en musicologue, explore les potentialités formelles et expressives de la forme sonate, depuis Mozart jusqu’à Brahms, avec ce trait d’union essentiel qu’est Beethoven.

C’est avec un toucher en patte de velours que l’interprète aborde la Sonate en ré majeur K311 de Mozart, plus galante que classique, plus gracile que dramatique, au sein d’un univers sonore qui se transforme en une scène d’opéra miniature. Les thèmes sont présentés, le pianiste se faisant « maître de théâtre », avec de fines modulations de timbre, comme le ferait un chanteur qui passerait de sa voix de tête à sa voix de poitrine. Ces modulations peuvent ou veulent parfois chercher à rappeler le pianoforte. Le legato est bien souligné, la basse d’Alberti poudrée, les traits – vocalises instrumentales – sont structurés par d’infimes résonnances, grâce à l’usage de la pédale. Le pianiste semble vouloir montrer la manière dont Mozart s’empare du langage tonal et de la forme sonate, pour agrandir les potentialités du piano ; à moins que ce ne soit l’inverse, dans cette dialectique subtile entre la matrice formelle abstraite et la réalisation sonore concrète.

Cette réflexion musicale se poursuit avec la Sonate n° 23 opus 57 en fa mineur, dite Apassionata de Beethoven. L’intitulation marque l’écart entre ce que chaque époque demande à la musique en matière d’expression, pure ou attachée à un affect précis. C’est également le Beethoven explorateur du piano que cherche à restituer Morales, dans sa manière d’investir un clavier agrandi, polarisé entre les extrêmes de sa tessiture, de faire s’enrouler telle ou telle idée thématique sur elle-même, de trahir l’attente de résolution, enfin d’intégrer le silence à la danse sonore. Les traits d’arpèges, loin d’installer la tonalité et d’avoir une fonction grammaticale, deviennent des couleurs, dans une palette aux tons lumineux ou sombres, tandis que des cellules rythmico-mélodiques éclaboussent le clavier de part en part.  Les mains du pianiste se répartissent un matériau sonore complexe, parfois illisible, souvent éruptif, pour mieux traduire la logique d’écriture, expérimentale et obsessionnelle du compositeur : tout un monde de deux mains.

En la matière, le troisième opus interprété par Morales, après l’entracte, n’est pas en reste, avec la Sonate n° 3 opus 5 en fa mineur de Brahms, édifice monumental de la forme sonate pour piano, à la secrète géométrie. Un monde déjà désarticulé chez Beethoven, se voit soumis à la question chez Brahms, réinterrogé sur ses fondements. La tonalité est étirée jusqu’à ses confins, tandis qu’une pâte sonore, ductile et dense, est modelée et émerge des clartés du silence, lequel est encore davantage intégré à la composition chez Brahms que chez Beethoven. L’œuvre est un territoire, raviné, érodé, excavé, tandis que les idées thématiques empruntent à la cellule beethovenienne comme à la cantilène mozartienne. Parfois, la ligne mélodique surgit de l’écriture harmonique, grâce au legato du pianiste, et à son utilisation soignée de la pédale, l’ensemble sonnant comme un choral. Le piano devient un espace en soi, que chaque doigt des deux mains de l’interprète arpente à sa façon.

Pour ce qui est d’arpenter les territoires, Morales offre trois bis de musique cubaine, qui révèlent, après ce parcours dans une histoire du piano germanique, son attachement au sol natal et latin :  Malagueña d’Ernesto Lecuona, Picotazos et Adios a Cuba d’Ignatio Cervantes.

Florence Lethurgez
Musicologue

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concert-mercredi-3-aout-les-nuits-pianistiques

Mercredi 3 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Récital de piano, Alexandre Lory
MessiaenRegard n° 15 « Le Baiser de l’Enfant-Jésus »
LisztÉtude d’exécution transcendante n° 9 « Ricordanza »
Albéniz« El Albaicin » extrait d’Iberia (3e cahier)
GranadosAllegro de concert, opus 46
TchaïkovskyNocturne opus 10 n° 1 – Août et Octobre (extrait des Saisons, opus 37a), Méditation opus 72 n° 5
Gounod/LisztValse de Faust
Alexandre Lory : piano

Le premier récital pour piano du Festival Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence est confié à Alexandre Lory, jeune pianiste français, au jeu aussi multifacette – notamment intense et perlé – que l’ensemble de pièces, savamment rangées, qu’il semble avoi conçu comme une œuvre en soi.

Ainsi le programme se veut cohérent et éclectique. Selon l’étymologie de ce dernier terme, est éclectique celui qui « choisit », à bon escient, dans un ensemble. Ici les pièces de genre côtoient les extraits de cycle, les pièces didactiques – toujours poétiques – les transcriptions, la musique instrumentale, la musique vocale, enfin différentes nations musicales, de la Russie à la France, en passant par l’Espagne.

Seule l’interprétation, sensible, mesurée au cordeau, qu’en donne Alexandre Lory est à même de révéler le fil secret qui amarre souplement les œuvres entre elles.

Avec le quinzième Regard de Messiaen : « Le baiser de l’Enfant-Jésus », les regards se croisent entre les concerts, notamment celui qui a fait résonner dans l’église Saint-Jean de Malte le Quatuor pour la fin des temps de Messiaen. Ce grand portail d’entrée dans la musique, est abordé par l’interprète, du bout de la pulpe des doigts, faisant du piano un instrument à corde directement mises en vibration par la main humaine, sans le relais du mécanisme complexe de percussion qui mobilise chaque touche, noire ou blanche. Un halo de résonnance, tel un grand vitrail (rouge et mauve, comme les lumières de l’auditorium Campra), émane de la table d’harmonie de l’instrument. Le jeu d’Alexandre Lory, tout en caresse féline, s’étend et se rassemble sur le clavier, introduisant progressivement, à partir d’une ligne de chant, un ensemble d’ornements propres au langage de Messiaen (modes rythmiques et mélodiques, clusters incandescents), dont le plus récurrent et précieux, sera le trille. Ce dernier apparaîtra et disparaîtra tout au long du concert, constituant peut-être le geste signature d’Alexandre Lory. Le son est constamment réinjecté dans la résonnance de ce qui précède, tandis que le jeu de pédale vient ajouter ses murmures.

L’Étude d’exécution transcendante n° 9 « Ricordanza » de Liszt est enchaînée sans transition, selon la même technique de jeu legato, non seulement entre les notes, mais entre les œuvres. Un thème lyrico-grégorien, également présent, déclamé puis soumis à des paraphrases ornementales, vient exprimer, d’une manière distincte de Messiaen, un propos similaire : le souvenir douloureux d’un état de félicité, d’unité, dans le verbe divin. Là aussi, une ligne déclamée, pétrie d’émotion, entretient une tension palpable dans le medium du piano. Elle se couvre de cendres avant de s’enflammer à nouveau, tandis que les trilles sonnent comme un froissement d’aile de papillon.

Le fil du son, mélodico-lyrique, est tenu et retenu par le pianiste qui aborde son troisième opus : « El Albaicin », extrait du troisième cahier d’Iberia (3e cahier) d’Albéniz. Un climat plus sec vient assécher l’épanchement émotionnel lisztien, tandis que les mouvements de buste du pianiste se font plus amples. Une mélodie, qui est empruntée à la musique andalouse, se voit amplifiée, travaillée, par des ornements de guitare.

Mis à part l’Allegro de concert de Granados, plus « francisé », la forme des œuvres retenues est continue, afin d’épouser au plus près de l’humeur et du climat, le propos de chaque pièce. Avec cette pièce dite « de concert », Alexandre Lory montre sa capacité à ramener dans le cœur du piano, les amples volutes digitales qui semblent vouloir s’en échapper. Rien ne s’effiloche, mais vient à germer sous les gestes de semeur du pianiste.

Plusieurs pièces de Tchaïkovsky Nocturne opus 10 n° 1, Août et Octobre (extrait des Saisons, opus 37a), Méditation opus 72 n° 5 – poursuivent ce grand voyage entre les nations, dans la dentelle du Nocturne, le dessin des Saisons, la profondeur de la Méditation. Toute notion de pianisme se voit abolie, ce qui est dû en partie au toucher d’Alexandre Lory, promenade ou course des pulpes digitales sur le clavier depuis les gestes souples et ronds de son buste, depuis l’épaule jusqu’au coude et au poignet.

Mais il se montre capable d’assumer la rudesse de la transcription depuis l’orchestre d’opéra,
avec la paraphrase de la Valse de Faust de Gounod par Liszt, convoqué une deuxième fois (puis une dernière avec le bis, transcription d’un prélude de Bach). Les bras semblent s’ouvrir en delta pour irriguer une musique de grande amplitude. Mais là également, la mélodie, et son ornement par le trille, quasi céleste, effectué avec un petit mouvement de colibri, termine en apothéose le programme conçu par l’interprète.

Un thème central, dans le médium le plus parlant du piano, détient toujours une intensité méditative, et se voit soumis à des amplifications digitales et décoratives, balayant parfois l’intégralité du clavier. Avec de grands souffles perceptibles, le pianiste semble vouloir « réveiller le dragon » qu’est le grand instrument noir, auréolé d’un halo de lumière sur la scène. Voilà ce qui constitue l’univers du pianiste, dans ce récital, en même temps qu’un principe musical universel. Il est fondé sur un dialogue, un échange serré, entre ces deux principes : la voix et son accompagnement.

Florence Lethurgez
Musicologue

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