concert-2aout-les-nuits-pianistiques

Mardi 2 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Soirée hommage à Franck
FranckSonate pour violon et piano en la majeur
Sandro de Palma : piano
Pierre Stéphane Schmidlet : violon
FranckPrélude, Fugue et Variations
Entracte
FranckQuintette pour piano et cordes en fa mineur FWV 7
Sandro De Palma : piano
Da-Min Kim : violon
Pierre Stéphane Schmidlet : violon
Brice Duval : alto
Dominique de Williencourt : violoncelle

Un deuxième concert d’hommage ouvre la deuxième semaine du Festival Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence. Après avoir conçu une programmation gravitant autour de Carlos Roque Alsina, hommage est rendu à cette autre figure, grande et complexe, de compositeur, de pianiste et d’enseignant, à parts égales, qu’est César Franck, afin de commémorer le bicentenaire de la naissance (le 10 décembre 1822). Le piano est également l’instrument fil rouge de la soirée, qu’il soit soliste ou chambriste, de la sonate en duo jusqu’au quintette pour corde et piano.

Le concert s’ouvre par la fameuse Sonate pour violon et piano en la majeur, œuvre enregistrée au disque près de 180 fois, œuvre signature, traversée, dans ses différents mouvements, par un thème à la fois dynamique et stagnant, propre à supporter les événements d’un grand voyage. Cette sonate est dite « cyclique » – apport de Franck à la forme sonate – c’est-à-dire qu’elle s’enroule sur elle-même pour atteindre de plus vastes dimensions, au fur et à mesure de ses mouvements et de l’intime confession qu’ils relatent. Avec le pianiste Sandro de Palma et le violoniste Pierre Stéphane Schmidlet, elle trouve deux interprètes sensibles, qui apprendront, au fur et à mesure du déroulement de l’œuvre, comme si elle était créée sous leurs doigts et leur archet, à trouver son axe de rotation. La manière inverse de tenir le violon de Pierre Stéphane Schmidlet place les regards des deux interprètes en vis-à-vis, comme pour davantage souligner la nécessité d’être au « rendez-vous », pour jouer la musique de chambre franckiste, avec ses ressacs, ses replis et ses expansions. Le piano fait sourdre de sa table d’harmonie des grappes sonores, furieuses ou extatiques, comme si l’interprète mettait de côté les marteaux, tandis que la partie de violon vient s’y déposer, comme si le son se décantait, mettant à nu les techniques d’écriture les plus savantes comme les états émotionnels les plus fervents du compositeur. Un fil est tendu, toujours fragile, entre les univers sonores des deux instrumentistes, qui trouvent à se répondre dans les cellules qui composent admirablement les thèmes franckistes. Le travail des dynamiques, du pianissimo au fortissimo, redouble celui de la forme, à l’échelle de l’œuvre, comme de l’enchaînement des motifs. Le duo traduit ce mélange de pudeur et d’impérieux besoin d’épanchement émotionnel qui est le propre de cette partition : ses oscillations rapides entre repli et expansion, son extimité romantique (expression du for intérieur).

Le pianiste italien Sandro de Palma confère au Prélude, Fugue et Variations, une lecture de la même eau : sensible et architecturée. Il semble jouer sur un clavier en mousse, dense ou aérienne, duquel monte une ligne vocale d’inspiration grégorienne. Les barres de mesure semblent se volatiliser, tandis que les notes s’égrènent en campo aperto (champ ouvert). Le pianiste ouvre son compas sonore ou le referme, à la faveur des harmonies grondantes ou des fugatos cristallins. Climats fiévreux ou nostalgiques se succèdent, comme si Sandro de Palma s’attachait à restituer la quête du compositeur, sa recherche de la plénitude sonore.

Après l’entracte, elle semble atteinte, avec le sublime Quintette pour piano et cordes en fa mineur. Le violoniste Da-Min Kim, super-soliste de l’Orchestre philharmonique de Marseille, l’altiste Brice Duval, spécialiste de musique contemporaine, co-soliste de cette même formation, et le violoncelliste et compositeur Dominique de Williencourt complètent le duo.

L’écriture savante de Franck amplifie les dimensions du piano, lui conférant des sonorités monumentales d’orchestre et d’orgue, tandis que les cordes y ajoutent leurs mixtures les plus homogènes. L’ensemble est gagné par une même énergie, un même souffle puissant, une même course éperdue. Chaque instrumentiste semble habiter le timbre des quatre autres, et traverser, à chaque retour du thème – cyclique -, un cercle de l’enfer, selon Dante, sinon la roue de l’éternel retour. L’œuvre, jouée par des interprètes d’aujourd’hui, pétris de musique contemporaine, révèle toute sa modernité, faisant ainsi écho au Quatuor pour la fin des temps de Messiaen et aux œuvres d’Alsina, programmés lors de la première semaine du festival.

La programmation de la soirée, comme s’il s’agissait d’une seule œuvre, fait ainsi monter progressivement en puissance la musique de Franck. Les cinq artistes, avec un engagement palpable, atteignent une synergie entre émotion pure et sonorité pleine.

Florence Lethurgez
Musicologue

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Samedi 30 juillet : 20h30 à l’auditorium Campra

Avec le soutien de SHZ Consulting
Soirée symphonique avec l’orchestre Philharmonique de Marseille autour du pianiste et compositeur Carlos Roque Alsina
DebussyPrélude à l’Après-midi d’un faune
ChopinAndante Spianato (orchestration Alsina) et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur opus 22 ( ed. PWM))
Roque AlsinaStücke (ed. Zerboni)
Entracte
AlsinaSuite indirecte (ed. Zerboni)
GriegConcerto en la mineur opus 16
Carlos Roque Alsina : Piano
L’Orchestre Philharmonique de Marseille
Valentin Doni : direction

La première semaine du Festival-Académie Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence se termine par un concert historique, à plusieurs titres : historique en ce qu’il célèbre les 30 ans de notre événement culturel ; historique en ce qu’il célèbre l’anniversaire d’une personnalité marquante au sein du monde musical ; historique dans la conception même du programme de la soirée, qui articule en deux volets, musique classique ou moderne, musique symphonique et concertante, partition d’origine et arrangement.

Ce concert marque musicalement et symboliquement l’histoire du Festival, et fête un anniversaire dans l’anniversaire, celui de Carlos Roque Alsina, compositeur d’origine hongroise, par sa mère, et argentine, par son père, au cours d’une soirée qui lui est dédiée. Elle a lieu le samedi 30 juillet, afin de rester fidèle au nombre 30 ! Alsina a été un des professeurs de piano de Michel Bourdoncle, directeur artistique du Festival-Académie, ainsi qu’un ami de plus de quarante ans. Son histoire rejoint l’histoire du festival.

Le concert-hommage expose les différentes facettes d’une trajectoire exceptionnelle d’interprète, d’enseignant et de compositeur, qu’Alsina est arrivé et arrive encore à mener de front durant sa vie. Elles sont toutes traversées par un même souffle lyrique et puissant que le public de la salle Campra éprouve concrètement, parce que l’artiste, en personne, est présent, en tant que compositeur, arrangeur et interprète.

Le chef roumain, Valentin Doni, est à la baguette, avec sa gestique ronde, accueillante et respectueuse de la marge de liberté qui s’attache à l’expression musicale de chacun des membres de l’Orchestre Philarmonique de Marseille. Ce dernier est en grande forme, du côté des vents et des percussions notamment. Il est la troisième phalange invitée depuis le début du Festival.

Valentin Doni parvient à extraire de la phalange l’ample et frissonnante ligne du Prélude à l’Après-midi d’un Faune de Debussy, œuvre qui marque symboliquement l’entrée dans la musique du vingtième siècle : un premier matin de la musique contemporaine. La musique de Debussy promène le regard du Faune, lors de ses balades d’après-midi, en empruntant les chemins discrets d’une forme, souple, ductile et organique. Le choix d’introduire le concert par cette œuvre est judicieux, quand on sait la valeur que le compositeur Alsina accorde à la forme, au sein de ses propres compositions et qu’il redéfinit d’une manière qui lui est propre.

Puis le Chopin de l’Andante Spianato et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur opus 22, orchestrée par le Alsina, permet d’entrer dans la forme concertante, tout en douceur puis en ferveur. Un halo harmonique semble se dégager de l’intérieur du piano, telle une vapeur sonore, qui amplifie le potentiel de résonnance de la partition. Le compositeur, devenu interprète, introduit dans les lignes lyriques de Chopin, des points de repères sonores, qui permettent au chef d’être un médiateur attentif entre le soliste et la phalange. Le résultat final sonne comme une méditation, une improvisation, émanant des forces scéniques, alors que la deuxième partie de la pièce, la Grande Polonaise, demande une grande précision rythmique. Soliste et chef sont connectés par leur écoute intérieure du déploiement sonore, qui amène et ramène jusqu’aux cimes de l’œuvre, le thème principal.

De part et d’autre de l’entracte sont interprétées deux œuvres du compositeur, Stücke et Suite indirecte, dont les titres génériques – et non thématique comme celui du Prélude à l’après-midi d’un Faune – signalent l’importance de la forme, profondément structurante, dans toute l’œuvre du compositeur. Le plaisir qu’a la phalange à jouer de la musique contemporaine est aussi rare que palpable. La scène de l’auditorium devient une grande boîte à musique, qui démontre toutes les potentialités sonores d’une formation symphonique, particulièrement étoffée par un imposant instrumentarium de percussions. La suite est « indirecte », en outre, par ce qu’elle veut montrer que la musique n’existe que par l’interprétation et l’écoute qui en est faite, et qu’elle résulte de la subjectivité humaine, en dépit de sa fixation par la notation et l’orchestration. Les deux œuvres retenues relèvent de la forme suite – initialement de danse -, qui permet à chaque pièce de dégager le potentiel de continuité et de rupture du son musical. Ce dernier est travaillé dans la masse et avec précision, comme s’il s’agissait, avec ces œuvres,  d’un chantier de fouilles archéologiques. Bruits blancs et noirs, comme en hommage au clavier du piano, palpitent, explosent, se superposent de concert et terminent tous sur un silence intempestif, qui parfois, laisse filtrer quelques sonorités résiduelles. Les œuvres d’Alsina semblent vouloir parvenir à capter l’origine du son, et à en libérer le potentiel lyrique. Elles sont écrites dans les marges du silence et le son ne tient qu’à un fil, même lorsqu’il s’impose en tutti colossaux, qui font entrer les auditeurs dans le cœur de la matière sonore. Le compositeur, qui a vécu entre les cultures et les continents, conçoit une musique en grande dimension, une musique d’immensités, engageant toute l’énergie et l’humanité de ses interprètes.

C’est à nouveau l’interprète Alsina qui vient clore cette soirée monumentale par le Concerto en la mineur opus 16 de Grieg, qui aura joué un grand rôle dans ses débuts de pianiste.

Les extrémités de ses phalanges sont chargées d’énergie électrique, et semblent franchir le mur du son, pour exécuter, en compositeur, cette œuvre aussi solide que limpide, aussi technique que lyrique. Le rapport concret au timbre du compositeur, habitué à en malaxer la matière, est accueilli par le chef Valentin Doni. Ce dernier semble venir puiser dans le « ventre » du piano, pour insuffler à l’orchestre les dimensions percussive ou expressive, d’une musique qui bouillonne. Elle le fait notamment pendant les cadences, alors que le pianiste est seul, et joue à la fois en interprète, en chef d’orchestre et en compositeur.

Alsina, applaudi très longuement par le public, lui accorde deux bis, comme deux autres facettes de sa personnalité : un bouquet de trois préludes de Chopin, « qu’il donne toujours à travailler à ses élèves » – le professeur n’est jamais très loin – ainsi qu’un autre bouquet de danses roumaines de Bartók qu’il dédie au chef d’orchestre ainsi qu’à sa mère, hongroise, disparue alors qu’il n’avait que 9 ans. C’est depuis les oreilles et les doigts d’un enfant qui écoutait en boucle le disque 78 tours de ces danses, qu’il interprète sa propre version et se situe à l’intersection exacte de ses activités d’interprète et de compositeur, mais également d’élève et d’auditeur.

C’est avec bonheur que sont réunis, en une seule personne, toutes les manières d’entrer en relation avec la musique, de son audition à sa création, en passant par son interprétation. En maestro de la scène de cette soirée, c’est Alsina qui vient chercher le premier violon pour donner le signal de départ à l’orchestre. Ce concert, comme un solide disque 78 tour, fera date et restera gravé dans les sillons de la mémoire du Festival et de ses publics.

Florence Lethurgez
Musicologue

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Vendredi 29 juillet : 20h30 à l’auditorium Campra

Soirée avec l’orchestre du Kazakhstan
MozartConcerto pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur
Marco Schiavo et Sergio Marchegiani : piano
MendelssohnConcerto pour violon et orchestre en mi mineur
Aiman Mussakhajayeva : violon
Gudni Emilsson : direction

Le concert symphonique de ce soir accueille l’orchestre du Kazakhstan, dénommé « Académie de solistes », comptant une trentaine de musiciens. La phalange, avec à sa tête le chef islandais Gudni Emilsson, vivant et travaillant en Allemagne, est en tournée en Europe. Elle choisit le Festival Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence, pour clore ce premier mois d’été, en apothéose et virtuosité. La soirée met à l’honneur le duo concertant, avant de s’adonner à la maestria du violon solo, avec passion, émotion et générosité.

La formation symphonique vient servir trois grands opus du répertoire concertant : deux classiques, avec Mozart, et un romantique, avec Mendelssohn, qui se caractérisent par deux grandes qualités d’écriture : la transparence et le drame, par les moyens propres de la tonalité, affirmée et transcendée.

Suite à un divertimento de Mozart, en si bémol majeur, qui permet aux cordes de s’accorder à l’acoustique des lieux, une formation orchestrale étoffée de ses bois – cors et hautbois par deux, basson – signale l’ampleur désormais concertante du programme.

Le concerto pour deux pianos de Mozart en mi bémol majeur – qui ajoute ainsi un bémol à la clé, comme le disent les solfégistes – est interprété par un duo constitué de longue date par deux pianistes italiens : Marco Schiavo et Sergio Marchegiani.

La gestique millimétrée du chef, qui mime avec à propos les gestes allant et venant de l’archet, extrait de savoureuses couleurs boisées de l’ensemble, petite sérénade nocturne de boite à musique, aux textures lisibles et délicates.

La musique se tient entre époque galante et classique, entre légèreté et affection plus profonde de l’âme, tandis que la main droite attentive du chef veille sur l’orchestre, et retient chaque pupitre, entre deux mouvements.

Les tuttis sont bien sonores, tandis que les deux pianistes ont tout loisir de personnaliser leur phrasé, l’un posant directement la note de résolution (la tonique), l’autre la retenant, pour ensuite mieux synchroniser leurs moments d’homophonie. L’un offre un timbre d’or blanc, l’autre d’or jaune, en un savant mélange d’alchimiste qui restitue l’humour mozartien, les deux pianistes dialoguant vivement, comme lors du duo Leporello et Don Giovanni, propre à l’opéra bouffe.

Le travail chambriste délicat se laisse encore plus évaluer dans les deux bis, généreusement consentis au public, avec deux danses hongroises de Brahms, qui semblent potentialiser toute l’énergie accumulée dans l’opus mozartien au cœur d’une matière chorégraphique, profonde et bouillonnante.

Le plateau est redéfini pour accueillir deux nouveaux solistes, une violoniste et un altiste, qui poursuivent l’exploration mozartienne du duo concertant, avec la symphonie concertante du même Mozart.

La violoniste Aiman Mussakhajayeva, en robe rose fuchsia, messagère internationale de l’école de violon du Kazakhstan, se montre impériale. Elle est accompagnée par un altiste au jeu fervent. Les deux solistes s’adonnent totalement à l’expressivité musicale, et se montrent corps et âmes engagés dans un jeu qui chez l’une est étincelle, chez l’autre intériorité, mais toujours déchirant de justesse, notamment dans les deuxièmes thèmes ou les mouvements lents. Leurs amples crescendos, comme le veut l’écriture mozartienne, aboutissent à encore plus de douceur et de vocalité.

Le flamboyant concerto pour violon de Mendelssohn accompagne le triomphe de la soliste, Aiman Mussakhajayeva, vers des cimes inouïes, explosives, quasi pyrotechniques, qui en reviennent toujours à une émotion essentielle.

Cette dernière est partagée par le public, tout au long d’un rituel du concert « malmené » avec bonheur par les artistes de la soirée.

Florence Lethurgez
Musicologue

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