Concert du 3 décembre 2022 : Sonates d’automne à l’hôtel du Roi René
Entretien de Florence Lethurgez, musicologue, vice-présidente des Nuits pianistiques d’Aix-en Provence avec Mathis Cathignol, le 12 novembre 2022.
Bonjour Mathis. Vous allez jouer le 3 décembre 2022 au Grand Hôtel du Roi René, l’un des lieux qui accueille Les Nuits pianistiques, avec un programme magnifique et dense, constitué de deux œuvres phares du répertoire romantique pour piano : la Sonate n° 32 opus 111 de Beethoven suivie de la Sonate en si mineur de Liszt.
Vous êtes natif de la région, à la frontière du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, près de Pertuis, et vous avez fait vos classes au conservatoire d’Aix-en-Provence avant d’intégrer le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, où vous avez travaillé avec Florent Boffard, Claire Désert et Roger Muraro. Né en 2000, vous avez donc 22 ans. Vous suivez actuellement le cycle concertiste au Conservatoire à rayonnement régional de Paris dans la classe de Célimène Daudet.
Est-ce que vous-même commencez à enseigner ? Est-ce que la pédagogie vous intéresse ?
J’enseigne quelques heures par semaine dans un conservatoire d’arrondissement. Je trouve cela très intéressant car cela amène quelquefois à remettre en question son approche de l’instrument. Quand on voit une autre personne jouer, a fortiori quand il s’agit de quelqu’un que l’on connaît personnellement, on sort la tête du guidon et l’on peut prendre conscience de certains défauts qui nous caractérisent également. C’est encore plus le cas dans le cadre de rodages entre amis de même niveau. C’est en voyant d’autres pianistes donner des coups rythmiques sur la pédale dans les passages fortissimo que je me suis en partie débarrassé de ce tic, que je traînais depuis des années sans en avoir pleinement conscience.
Quelles sont les étapes qui vous semblent importantes pour votre professionnalisation, votre projet d’être concertiste ?
J’ai des projets de concours pour les mois et années à venir, mais il faut veiller à ne pas tout miser sur cet aspect-là, car le résultat est toujours assez aléatoire, avec un certain nombre de paramètres que l’on ne maîtrise pas, et une concurrence de plus en plus rude.
Il est à mon avis utile de diversifier sa pratique de la musique. C’est pour cela que je suis par exemple dans la classe d’accompagnement de Jean-Frédéric Neuburger au Conservatoire de Paris. Chaque discipline est utile aux autres. Elles se recoupent entre elles.
Quelle est votre expérience avec Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence ?
J’y ai d’abord été stagiaire, en 2015 avec Frédéric Aguessy, et 2016 avec Jacques Rouvier. En 2015, je faisais partie des six pianistes qui ont joué les deux concertos de Chopin, avec un mouvement chacun, en relation avec le stage de direction d’orchestre. J’ai personnellement joué le troisième mouvement du Concerto en mi mineur, opus 11.
En 2021, j’ai également participé à l’intégrale des concertos pour clavier de Bach. J’ai joué les trois mouvements du Concerto pour deux claviers en do majeur, BWV 1061, avec un ami, Sacha Morin.
J’ai également joué plusieurs fois à Musique dans la rue (en 2015, 2016, 2017, 2020, 2021 et 2022), dont une tribune, au collège Sainte-Catherine de Sienne, est tenue par Les Nuits pianistiques.
Comment construisez-vous le répertoire des œuvres que vous travaillez ?
Il faut distinguer les œuvres que l’on choisit pour le travail et celles que l’on choisit pour les concours ou les concerts. Les premières nous mettent parfois assez peu en valeur car elles visent à corriger nos points faibles. Bien sûr, la frontière reste mince, car on peut ensuite puiser dans ce répertoire pour construire un programme de concert. Mais il est primordial de se poser la question des répertoires avec lesquels on se sent moins à l’aise et de veiller à ne pas laisser de côté certains types de répertoire au profit de ceux que l’on a déjà énormément explorés.
Que pensez-vous des formats tels que le récital, le concerto, la musique de chambre ?
La musique de chambre, tout comme l’accompagnement d’ailleurs, invite à une certaine humilité, puisqu’il faut laisser aux autres toute la place dont ils ont besoin. En concerto, le rapport aux autres musiciens est en général assez différent, car le soliste est en quelque sorte en concurrence avec l’orchestre, ce qui le pousse à donner beaucoup de son.
En musique de chambre, il faut écouter l’autre et s’écouter en même temps. Si l’on fait par exemple de la sonate pour violon, que le violon a le thème, qu’il joue forte et qu’on l’écoute sans s’écouter soi, on peut être emporté et jouer plus fort que lui. Il faut viser l’équilibre. C’est un exercice intéressant, mais que j’ai moins pratiqué ces dernières années. J’en faisais davantage quand j’étais au conservatoire d’Aix-en-Provence, où j’avais fait beaucoup de quintette pendant 3 ans, entre 2014 et 2017.
Comment travaillez-vous votre instrument ?
Cela dépend des périodes. Il m’est arrivé de travailler exclusivement sur le détail, mais aussi uniquement sur l’œuvre dans sa globalité, particulièrement quand j’avais un répertoire trop important à gérer.
Je crois que le plus raisonnable est de commencer par le détail, des passages ciblés, pour aller ensuite vers le général, en jouant la pièce d’un bout à l’autre. Il faut varier le tempo, pour éviter d’être prisonnier d’une façon de faire, et ainsi avoir une connaissance plus diversifiée de l’œuvre.
La lenteur permet d’être plus attentif aux détails, la rapidité permet de travailler sur l’aisance dans la réalisation. À ce titre, travailler plus rapidement que le tempo final souhaité peut s’avérer utile.
Il ne faut pas perdre patience face à un trait difficile. Le plus important est d’une part d’être parfaitement décrispé en jouant, particulièrement dans la nuance piano, et d’autre part d’être très concentré, c’est-à-dire disponible à la musique. Il faut se résigner à l’idée qu’il n’y a de toute façon pas de méthode miracle dans le travail qui donnerait des résultats spectaculaires.
Comment concevez-vous vos programmes ?
Sur une durée supérieure à une heure, je pense qu’il est généralement préférable d’éviter d’opter pour un programme monothématique, autour d’un seul compositeur. Il est bien d’avoir par exemple deux parties différentes, ou de balayer différents styles, ou encore de mettre en regard deux œuvres distinctes, mais avec des points communs. C’est ce que j’ai souhaité faire pour le concert du 3 décembre.
Il m’est difficile de donner une réponse pertinente à cette question, car cela dépend du contexte, et je n’ai pas une expérience énorme en la matière.
Bien entendu, on choisit des œuvres que l’on a longuement préparées en amont, et l’on cherche à construire un tout cohérent et ludique pour le public.
Pourquoi avez-vous choisi ces deux sonates-là pour le concert du 3 décembre ? ?
Ce sont deux œuvres qui me tiennent à cœur, mais que je n’avais eu jusque-là l’occasion d’approfondir autant. Je suis donc très heureux de cette possibilité qui m’est donnée.
La Sonate de Liszt est peut-être son œuvre pour piano la plus impressionnante compositionnellement. À partir de quelques motifs extrêmement courts, il construit une œuvre d’une demi-heure cohérente, sans jamais verser dans la redondance. Richard Strauss avait déclaré
que si Liszt n’avait écrit que cette sonate, cela eût été suffisant pour démontrer à tous la force de son esprit.
L’opus 111 de Beethoven est une œuvre visionnaire, qui a été mal comprise à son époque (c’est en partie vrai aussi de la Sonate de Liszt, que Clara Schumann avait détestée), et peu jouée dans les décennies suivant sa composition. Schindler disait ne pas comprendre l’absence de troisième
mouvement. Le second, Arietta et variations, est très long en comparaison du premier. C’est une gageure pour l’interprète, et c’est ce mouvement qui me parle le plus. La diversité rythmique y est foisonnante. Les rythmes se resserrent de plus en plus au fur et à mesure du déroulement des
variations, pour finalement aboutir à un flux de triples croches, ininterrompu et méditatif, avec une force évocatrice très importante.
Je vous avoue cependant que, quand on construit un programme, on se pose assez peu de questions de musicologue, et l’on a tendance à se contenter de choisir des œuvres que l’on a travaillées de façon satisfaisante, et que l’on a par conséquent envie de partager avec le public. Mais il reste très intéressant de réfléchir plus en profondeur. Liszt admirait Beethoven, et il l’a rencontré à la fin de sa vie. Liszt a été l’élève de Czerny et Czerny celui de Beethoven. Il y a une filiation entre les deux, et Liszt a prolongé pianistiquement ce que Beethoven avait amorcé. Liszt n’aurait pas pu accomplir tout ce qu’il a accompli sans tout le chemin parcouru par Beethoven.
Merci pour ces éclairages Mathis !