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Vendredi 29 juillet : 20h30 à l’auditorium Campra

Soirée avec l’orchestre du Kazakhstan
MozartConcerto pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur
Marco Schiavo et Sergio Marchegiani : piano
MendelssohnConcerto pour violon et orchestre en mi mineur
Aiman Mussakhajayeva : violon
Gudni Emilsson : direction

Le concert symphonique de ce soir accueille l’orchestre du Kazakhstan, dénommé « Académie de solistes », comptant une trentaine de musiciens. La phalange, avec à sa tête le chef islandais Gudni Emilsson, vivant et travaillant en Allemagne, est en tournée en Europe. Elle choisit le Festival Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence, pour clore ce premier mois d’été, en apothéose et virtuosité. La soirée met à l’honneur le duo concertant, avant de s’adonner à la maestria du violon solo, avec passion, émotion et générosité.

La formation symphonique vient servir trois grands opus du répertoire concertant : deux classiques, avec Mozart, et un romantique, avec Mendelssohn, qui se caractérisent par deux grandes qualités d’écriture : la transparence et le drame, par les moyens propres de la tonalité, affirmée et transcendée.

Suite à un divertimento de Mozart, en si bémol majeur, qui permet aux cordes de s’accorder à l’acoustique des lieux, une formation orchestrale étoffée de ses bois – cors et hautbois par deux, basson – signale l’ampleur désormais concertante du programme.

Le concerto pour deux pianos de Mozart en mi bémol majeur – qui ajoute ainsi un bémol à la clé, comme le disent les solfégistes – est interprété par un duo constitué de longue date par deux pianistes italiens : Marco Schiavo et Sergio Marchegiani.

La gestique millimétrée du chef, qui mime avec à propos les gestes allant et venant de l’archet, extrait de savoureuses couleurs boisées de l’ensemble, petite sérénade nocturne de boite à musique, aux textures lisibles et délicates.

La musique se tient entre époque galante et classique, entre légèreté et affection plus profonde de l’âme, tandis que la main droite attentive du chef veille sur l’orchestre, et retient chaque pupitre, entre deux mouvements.

Les tuttis sont bien sonores, tandis que les deux pianistes ont tout loisir de personnaliser leur phrasé, l’un posant directement la note de résolution (la tonique), l’autre la retenant, pour ensuite mieux synchroniser leurs moments d’homophonie. L’un offre un timbre d’or blanc, l’autre d’or jaune, en un savant mélange d’alchimiste qui restitue l’humour mozartien, les deux pianistes dialoguant vivement, comme lors du duo Leporello et Don Giovanni, propre à l’opéra bouffe.

Le travail chambriste délicat se laisse encore plus évaluer dans les deux bis, généreusement consentis au public, avec deux danses hongroises de Brahms, qui semblent potentialiser toute l’énergie accumulée dans l’opus mozartien au cœur d’une matière chorégraphique, profonde et bouillonnante.

Le plateau est redéfini pour accueillir deux nouveaux solistes, une violoniste et un altiste, qui poursuivent l’exploration mozartienne du duo concertant, avec la symphonie concertante du même Mozart.

La violoniste Aiman Mussakhajayeva, en robe rose fuchsia, messagère internationale de l’école de violon du Kazakhstan, se montre impériale. Elle est accompagnée par un altiste au jeu fervent. Les deux solistes s’adonnent totalement à l’expressivité musicale, et se montrent corps et âmes engagés dans un jeu qui chez l’une est étincelle, chez l’autre intériorité, mais toujours déchirant de justesse, notamment dans les deuxièmes thèmes ou les mouvements lents. Leurs amples crescendos, comme le veut l’écriture mozartienne, aboutissent à encore plus de douceur et de vocalité.

Le flamboyant concerto pour violon de Mendelssohn accompagne le triomphe de la soliste, Aiman Mussakhajayeva, vers des cimes inouïes, explosives, quasi pyrotechniques, qui en reviennent toujours à une émotion essentielle.

Cette dernière est partagée par le public, tout au long d’un rituel du concert « malmené » avec bonheur par les artistes de la soirée.

Florence Lethurgez
Musicologue

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Jeudi 28 juillet : 17h30 à L’Église Saint-Jean de Malte

Musique de chambre
MessiaenQuatuor pour la fin du temps
Patrick Zygmanovski : piano
Frédéric Moreau : violon
Véronique Marin : violoncelle
Dominique Vidal : clarinette

Nous nous déplaçons, en cette première semaine du Festival Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence, à l’église Saint-Jean de Malte, située dans le quartier Mazarin, qui a su préserver son patrimoine architectural d’hôtels particuliers des 17e et 18e siècles, juste à côté du Musée Granet. Cet environnement offre à la musique un écrin sans pareil. Il permet une expérience immersive qui convient particulièrement à l’œuvre programmée.

Les quatre musiciens du quatuor, Véronique Marin au violoncelle, Frédéric Moreau au violon, Dominique Vidal à la clarinette et Patrick Zygmanovski au piano, sont symboliquement la représentation musicale du tétramorphe, soit les « quatre vivants », ou encore les quatre évangélistes : le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l’homme pour Matthieu et l’aigle pour Jean. Et l’on sait combien Olivier Messiaen était croyant, et emplissait toute sa musique de ferveur spirituelle.

Mais plus concrètement, ils correspondent aux trois musiciens, en plus du compositeur Messiaen au piano, qui étaient ses compagnons de captivité dans un camp de prisonniers, en Silésie (région à l’intersection de la Pologne, de la République tchèque et de l’Allemagne), au stalag 8-A à Görlitz : un violoniste, un violoncelliste et un clarinettiste.

Ce quatuor constitue ce que l’on va appeler dans le milieu de la musique contemporaine, un « ensemble composite », qui s’écarte des formations classiques constituées, comme le quatuor à corde, ou, sur le modèle de ce que nous avons écouté la veille, le Quintette à vent avec piano de Mozart ou le Septuor à vent avec piano de Poulenc.

Nous sommes aux derniers jours du printemps 1940. Derrière l’éboulement de la ligne Maginot, la Wehrmacht fait prisonniers trois musiciens : Henri Akoka, un clarinettiste, Étienne Pasquier, un violoncelliste de renom, faisant partie du Trio Pasquier, et Messiaen, qui a pu emporter avec lui des partitions de poche de Bach, mais également de musiciens « dégénérés » aux yeux des nazis, comme Berg.

Messiaen avait également emporté l’un des mouvements que vous écouterez dans le quatuor, intitulé Abîme des oiseaux, pour clarinette solo. Il faut savoir que Messiaen était ornithologue d’une part, et associait naturellement des couleurs aux sons d’autre part, phénomène qui sera accentué par la captivité, le froid et la malnutrition. Cela lui donne des visions arc-en-ciel emplies de couleurs palpitantes, qui rappellent la lumière des vitraux de l’églises dans laquelle nous nous trouvons, de grands jaillissements de lave bleu-orange, par exemple (notons que les musiciens portent, en plus du noir traditionnel, des vêtements bleus, couleur préférée de Messiaen…).

Peu de temps après, les trois prisonniers sont rejoints, en captivité, par le violoniste Jean Le Boulaire. Les musiciens, l’un athée, un autre agnostique, un autre juif trotskyste, et Messiaen, catholique mystique, se rejoignent sur un projet de composition, puis de concert.

De fait, les musiciens sont relativement bien traités, car la musique est quelque chose d’important, pour les officiers Allemands. Un capitaine du camp fournit du papier et de quoi écrire à Messiaen, et le met à l’isolement – le dispensant des travaux forcés – pour lui permettre de composer. Les mélomanes Allemands arrivent à trouver un violon, un vieux piano dont les touches ne se relèvent pas toujours. Une version, rapportée par Rebecca Rischin, dans son ouvrage Et Messiaen composaGenèse du quatuor pour la fin des temps, citée par Richard Powers dans Orfeo (Collection 10-18, p. 135), sur laquelle nous nous appuyons, mentionne que des centaines de prisonniers vont se cotiser pour acheter un violoncelle à Pasquier au prix de 65 marks. D’autres versions,

difficilement vérifiables dans le cas de circonstances de composition et de création aussi exceptionnelles, mentionnent que l’instrument aura été construit de toute pièce, à partir de matériaux et de compétences réunies dans le camp… Il est rapporté, en outre, que l’une des clés de la clarinette aura fondu, parce qu’elle avait été placée trop à proximité du poêle par un hiver à – 15 degrés. Enfin, les répétitions auront lieu dans les latrines du camp…

Messiaen déploie sa vision apocalyptique en huit volets, en relation avec le regard d’un ange surgissant de la Cité céleste. Le langage musical propre à Messiaen est très particulier ; d’abord sur le plan rythmique : il n’est pas possible de battre la mesure de manière traditionnelle. En outre, son langage est atonal ; il emprunte à des modes anciens ou non occidentaux, qui permettent aux sons de flotter, comme en apesanteur. Ce qui importe, pour le compositeur, dans la relation étroite qu’il établit entre les timbres et les textures, c’est que les sons fusent ou explosent, dans les extrêmes des tessitures instrumentales. Tout cela donne à l’œuvre, conjointement, une grande limpidité et une grande complexité.

Le concert commence à dix-huit heures, au baraquement 27, un soir de janvier 1941, pour un public d’une centaine de prisonniers encadrés par les officiers allemands amateurs de musique. Messiaen prend soin d’expliquer son œuvre au public, notamment sa forme inhabituelle en huit mouvements, un pour chaque jour de la création, le jour de repos et le Dernier jour. Il évoque son langage musical, fait de couleurs, de chants d’oiseaux, de modes mélodiques et rythmiques « à valeur ajoutée ». On sait que Messiaen, professeur au conservatoire national de musique de Paris, d’analyse puis de composition, contribuera à généraliser la pratique de communication qui consiste, pour un compositeur, à écrire une notice de présentation de son œuvre en direction du public…

Le violoniste, Jean Le Boulaire, se souvient que l’œuvre avait suscité « beaucoup de discussions irrésolues à propos de cette chose que personne n’avait compris ». Pourtant, l’œuvre continue à vivre de nos jours, encore et toujours, peut-être jusqu’à la fin des temps.

Son propos, extrait de l’Apocalypse de Jean, ses alliages de timbre, littéralement inouïs, ses dimensions mystiques et mémorielles, constituent un défi pour les solistes du quatuor. Ils parviennent à faire résonner, sous les voûtes, un message d’espérance, ensemble comme dans la Danse de la fureur pour les sept trompettes, ou séparément.

Les timbres que le clarinettiste Dominique Vidal parvient à extraire de son instrument sont en osmose avec la singularité du lieu. Ils épousent les contours des nefs gothiques et se parent des harmoniques de l’orgue. Le violoncelle de Véronique Marin et le violon de Frédéric Moreau étirent à l’infini, sans jamais détimbrer, leurs longues lignes plaintives, tandis que le piano de Patrick Zygmanovski, polymorphe, insuffle la pulsation ou amplifie la vibration de ce qui, pour Messiaen, est l’expression musicale du Verbe créateur.

Un public fasciné et concentré applaudit longuement les artistes qui ont su transmettre et transcender la matière et l’esprit d’une œuvre monument.

Florence Lethurgez
Musicologue

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Mercredi 27 juillet : 20h30 à l’auditorium Campra

Soirée de musique de chambre
Mozart, Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur K452
Poulenc, Sextuor
Jean Marc Boissière : flûte
Valentin Favre : clarinette
Guillaume Deshayes : hautbois
Yannick Maillet : cor
Frédéric Baron : basson
Christine Généraux : piano
Entracte
Récital de guitare, Emmanuel Rossfelder
Tarrega, Introduction, Thème et variations sur le carnaval de Venise, Caprice Arabe
Barrios Mangoré, Valse opus 8 n°4, Un sueño en la floresta
Mertz, Fantaisie Hongroise, Élégie
Paganini,La campanella
Emmanuel Rossfelder : guitare

Le deuxième concert des Nuits Pianistiques est placé sous le signe de la délicatesse, dans le jeu, dans le timbre comme dans l’inspiration.

La première partie du programme réunit, autour du grand piano Steinway, auréolé par un jeu savant de projecteurs, depuis la couleur de miel jusqu’au rouge écarlate, en passant par la douceur froide du mauve, un ensemble à vent, quintette dans Mozart, septuor dans Poulenc.

Dans le premier opus, le Mozart du Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur K452, le jeu perlé du piano commande le déplacement velouté des vents, à la faveur d’un souffle clair qui rafraichit la nuit d’été provençale.

Les interprètes, rompus au jeu soliste et chambriste, restituent l’agencement cohérent des cellules musicales, qui chez Mozart, empruntent leur pétillance à l’opéra, leur tricotage au piano concertant. Le raffinement des lignes thématiques est servi par un alliage de timbre, nimbé de diverses résonnances. Hautbois et clarinette échangent leurs diaphonies avec le basson et le cor, sous l’aile bienveillante du piano. Le cor est impérial, tandis que le basson s’ourle de nacre.

Le sextuor de Poulenc apporte son énergie singulière à l’ensemble, qui intègre avec bonheur la flûte traversière. Le piano s’impose dans cet univers qui fait de chaque instrumentiste un protagoniste actif à part entière. Ruptures et continuités sont soulignées, à la ligne claire, comme la musique néo-classique aime à le faire. Les différentes textures se déploient, autour d’un élément récurrent, tel que le trille, la gamme, l’arpège, célébrant, après Mozart, les constituants fondamentaux de la musique tonale, pourtant malmenés chez Poulenc par de grinçantes ou doucereuses harmonies. Comme avec Mozart, la référence de Poulenc est le spectacle total, l’opéra pour l’un, le film hollywoodien pour l’autre.

Après l’entracte, la soirée prend une tournure plus intime, avec un récital dans le récital. Le guitariste Emmanuel Rossfelder se tient à l’avant-scène, au sein de la courbe bienveillante du piano, auquel il rend un très bel hommage. Les cordes, magiquement grattées dans la chair du son, effleurées dans le surgissement des harmoniques, étincellent. L’instrument est sonore, comme un orchestre miniature (Berlioz), tandis que le soliste y essaye tout un éventail de modes de jeu, qui du baroque au romantisme, n’ont rien à envier aux expérimentations organologiques (science du jeu instrumental, « organon » signifiant « instrument ») de la musique contemporaine d’avant-garde.

L’interprète accomplit, en maître de la scène, un véritable stand up, présentant et commentant avec humour le programme des œuvres retenues. Anecdotes savoureuses voisinent avec des remarques concrètes sur les circonstances de leur interprétation, dans l’auditorium Campra, pour le plus grand plaisir d’un public conquis, notamment sur les petites misères climatiques du guitariste – ce dernier souffrant de la température trop froide de la salle climatisée. Très sensible au lieu et à l’esprit qui y souffle, Emmanuel Rossfelder souligne les liens, à la fois dans son jeu et dans ses paroles, entre la guitare et le piano, alors qu’il réfère deux valses de Barrios Mangoré, ou encore La Campanella de Paganini, à l’écriture pianistique, intime ou spectaculaire, de Chopin ou de Liszt. L’écoute comme méditation intérieure ou captation du spectaculaire est ainsi tour à tour mobilisée, à la faveur d’un récital joué et ressenti comme « à fleur de peau », celle de la pulpe des doigts virtuoses d’Emmanuel Rossfelder.

Florence Lethurgez
Musicologue

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