Deux artistes se partagent la deuxième soirée du Festival, Michel Bourdoncle, directeur artistique des Nuits pianistiques, venu remplacer au pied levé l’artiste initialement programmé, Igor Cognolato, souffrant, et le pianiste italien Gianluca Luisi.

Gravitent autour de ce compositeur du piano et de la nuit qu’est Chopin, auquel se consacre Gianluca Luisi, les œuvres proposées par Michel Bourdoncle : des pièces du répertoire qui traversent les espaces et le temps, sans le folklorisme, ou le « virtuosisme », qui font parfois le sel des scènes ouvertes aux quatre vents.

Le public, plongé dans la lumière de la cour Sainte-Catherine de Sienne, entend, sous une voûte de plus en plus étoilée avec le soir, des pièces caractérisées par leur lyrisme intime, faisant de la parole humaine, l’expression la plus personnelle de chaque compositeur : Beethoven, Chopin, Liszt, Brahms, Debussy, ou le plus rare Déodat de Séverac…

Les deux premières sessions, qu’honore Michel Bourdoncle, se placent sous la mémoire de Bernard Flavigny, célébré en mai par Les nuits pianistiques, et décédé en cette fin de semaine, à l’âge de 98 ans. Le programme s’inscrit dans le sillage pédagogique et anthologique du maître aixois, avec des œuvres qu’il aimait et qu’il aimait à enseigner.

Les trois intermezzi de l’opus 117 de Brahms, selon le jeu de Michel Bourdoncle, se doivent de délivrer la puissance nucléaire du son, d’entretenir sa résonance après que le doigt ait enfoncé la touche. Le chant émane de son enveloppe harmonique et permet au silence d’exprimer toute sa densité. Le pianiste semble augmenter le piano, étendre sa table d’harmonie et allonger ses cordes. La phrase avance, d’une allure évidente, naturelle, liée au geste et au souffle humains.

Avec les Vallées d’Obermann de Liszt, le chant se fait voix méditative, dans la sévérité comme dans la consolation. Le son baigne dans l’eau lustrale du coffre pianistique, tandis que la virtuosité – les traits d’octave – se voit purifiée, dépouillée, ramenée au propos essentiel de l’œuvre.

Avec Beethoven – sonate dite Pathétique -, le questionnement est de la même eau profonde et limpide : musica mundana. Le pianisme déploie les ailes d’un grand papillon de nuit, au corps puissant et rond, balayant les différents registres du clavier.

Debussy (Prélude Bruyères) et Déodat de Séverac (Les muletiers devant le Christ de Llivia) apportent enfin leur modalité antique et rafraichissante, pérégrination digitale trempant ses pinceaux dans l’encre d’un calligraphe aux gestes sagement virtuoses.

Le Chopin des quatre scherzos, sous les doigts de Gianluca Luisi, questionne les ombres furtives et les spectres, avant de leur opposer la plénitude sonore que le maître polonais extrait de sa science harmonique. Les bijoux de tendresse des parties centrales, dévolues au chant, rappellent les accents généreux d’Aldo Ciccolini, cher au cœur du pianiste, capables de désarmer les accents les plus belliqueux de la Polonaise héroïque, op. 63.

Florence Lethurgez

Pour la 32ème édition du Festival, Michel Bourdoncle, Directeur artistique des Nuits Pianistiques d’Aix-en-Provence, accompagné des membres actifs de l’association Musiques-Échanges, a présenté les grands axes de la programmation 2024, autour du piano, du récital au concerto en passant par la musique de chambre. Il a dressé un bilan de l’action de l’association et rappelé la vision qui la forge, depuis plus de trente ans. Il a enfin évoqué les actions à venir, avant d’inviter l’auditoire composé d’adhérents, de partenaires et de journalistes, à partager un verre de l’amitié dans la salle des cérémonies de la Mairie d’Aix-en-Provence.

 

les nuits pianistiques festival de piano Aix en Provence

Florence Lethurgez : entretien avec Michel Bourdoncle

 

Que représente Bernard Flavigny dans ton parcours d’interprète ?

 

Il est entré dans ma vie de jeune élève en 1970-71, au conservatoire d’Aix-en-Provence. Avant lui, j’étais l’élève de Jacqueline Courtin, illustre professeur également, qui a enseigné avec passion pendant 40 ans, avec un sérieux et une conscience professionnelle au-delà de l’imaginable.

Bernard Flavigny était concertiste, et devenu professeur, il avait envie de se poser et de transmettre. Il est originaire de Normandie, où il vit toujours. Il m’a ouvert des horizons poétiques, musicaux et picturaux insoupçonnés. Il a une personnalité attachante, qui a opéré une révolution en moi, en complémentarité avec Jacqueline Courtin, qui m’apportait le sérieux et la discipline. Avec lui, c’était l’imagination, le sens de la couleur, du timbre, en plus de la connaissance et de la pratique du répertoire.

 

Peux-tu donner quelques exemples ?

 

Il y a des détails plus pianistiques : jouer de manière souple, détendue, relaxée. Comment parvenir à le faire ? Ce n’était parfois pas évident, mais Bernard Flavigny donnait la bonne intention. C’était un professeur et un interprète merveilleux, enthousiaste, cherchant constamment le renouvellement ; autant dans la transmission à l’élève du plaisir de la recherche que pour lui-même, pour des pièces avec lesquelles il avait vécu longtemps en tant qu’interprète. Je reconnais sa capacité à transmettre ce gout de la recherche, de l’immersion dans la sonorité, dans la couleur. Je lui dois énormément. Je lui suis reconnaissant de m’avoir permis d’approcher ces pistes de recherches. C’est un immense musicien, d’une exigence extrême, à l’écoute aiguisée. J’ai une admiration et affection immenses pour l’homme et le musicien.

 

Dans le cadre des Nuits pianistiques tu as à cœur de concevoir des soirées qui mettent à l’honneur tes grands professeurs, comme Carlos Roque Alsina en 2022, aujourd’hui Bernard Flavigny, cet été Dominique Merlet…

 

J’ai eu la chance de rencontrer ces grands maîtres à Aix, à Paris, à Moscou… Ils nous remuent, nous interrogent, nous montrent la voix, nous incitent à nous améliorer. Je veux leur dire merci de m’avoir accompagné, de m’avoir donné le meilleur d’eux-mêmes, de m’avoir éveillé à la conscience musicale.

Et l’histoire ne s’arrête pas là, elle est en perpétuel mouvement ! Bernard Flavigny a entendu mon fils Nicolas alors qu’il avait 14 ans, en 2012, et il lui a apporté son aide. Il l’a entendu dans son Quatrième concerto de Beethoven, donné au théâtre d’Aix.

Les musiciens se respectent, ne se perdent jamais sur le plan de l’esprit et du cœur. J’ai envie de dire à mes élèves : « Vous avez, à travers moi, reçu l’enseignement de tel ou tel maître. Venez au concert en l’honneur de Bernard Flavigny, vous ressentirez à même la musique ce qu’il a pu apporter comme professeur et musicien. »

 

Qu’en est-il de la programmation de cette soirée ?

 

J’ai eu l’idée de réunir des instrumentistes partenaires de musique de chambre pour interpréter deux pièces du répertoire romantique.

Le Trio n° 1 opus 8 de Brahms a, dans mon parcours, une dimension affective. C’est avec cette œuvre que j’ai obtenu mon premier prix de musique de chambre au conservatoire de Paris. Je ne l’ai plus jouée ensuite pendant 40 ans, sauf tout dernièrement en Allemagne. Pour le Quintette n° 2 opus 81 de Dvorak, j’ai eu Bernard dernièrement au téléphone, et il m’a dit : « Je suis en train d’écouter le Quintette de Dvorak, et cela me fait du bien. » J’ai répondu : « Avec ta permission, j’aimerais le programmer pour un concert en ton honneur. » Il en était très heureux, et je lui ai promis un enregistrement du concert.

J’ai voulu faire une soirée à son image : poétique, colorée, passionnée, conviviale. Et pourquoi pas, drôle, si possible ! Car Bernard est d’une drôlerie incroyable. C’est un homme à l’humour extraordinaire. Il utilisait cette expression : « C’est tordant »

 

Pourquoi programmer cette soirée en pré-ouverture de saison ?

 

J’ai souhaité la programmer en dehors du festival, car Bernard Flavigny est un de mes tout premiers maîtres. J’ai donc voulu le mettre en avant, dans la chronologie. Il est à l’origine de beaucoup de choses, dans mon parcours de musicien, comme mon entrée au conservatoire de Paris.

Par ailleurs, le conservatoire Darius Milhaud est à ce moment-là en pleine activité pédagogique. Bernard Flavigny n’est pas un artiste de passage, c’est un professeur de la maison, qui a largement contribué à sa réputation. C’est aussi pourquoi mes partenaires sont des professeurs du conservatoire : Pierre Stéphane Schmidlet au violon, Marie Anne Hovasse à l’alto, Frédéric Lagarde au violoncelle et l’actuel directeur de l’établissement, Michel Durand-Mabire, au violon.

 

Que peux-tu nous dire, pour finir, des autres moments hors saison du Festival ?

 

Les 15 jours d’été sont un moment de concentration intense. Mais le Festival tend à se déployer hors saison, suivant une logique de développement. Des communes nous le demandent : La Ciotat, Rousset, Auriol, Pertuis, Ventabren, Vitrolles, qui font partie de la Métropole. Il y a aussi des chefs ou des interprètes qui passent dans la région. Il est naturel d’organiser des concerts, quand des opportunités se présentent, en fonction de l’actualité. L’association Musiques-Échanges est un organisme vivant, au service de la musique, des musiciens et des publics !