Les Nuits pianistiques à l’Auditorium Campra le 28 juillet

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alexandre-chenorkian

Mercredi 28 juillet : 20 h 30
Récital piano
Schubert, Impromptu n° 1 opus 142, Sonate en la mineur D.784
Schubert/Liszt, Gretchen am Spinnrade, Auf dem Wasser zu singen
Entracte
Schubert, Sonate en la majeur D.959

Alexandre Chenorkian : piano

Un récital Schubert, entre classicisme et romantisme, pièce de genre et transcription lisztienne, fait suite à la soirée d’ouverture. Le pianiste Alexandre Chenorkian nous fait entrer un peu plus ce soir dans l’univers de ce compositeur, dont le récital inaugural d’hier nous a laissés entrevoir l’élégante profondeur.

Texte détaillé :

Le Festival des Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence 2021, pour sa deuxième soirée, donne encore toute sa place au récital de piano ainsi qu’aux grands compositeurs-pianistes tels que Chopin, Schumann, Liszt, et un peu plus tôt, Schubert. Tous, à leur manière, ont su pressentir et exalter le potentiel de l’instrument.
Le pianiste Alexandre Chenorkian, qui a fait ses classes à Aix-en-Provence puis à Paris, avant de sillonner écoles et scènes internationales, propose un programme entièrement dédié à Schubert. Il en dévoile plusieurs facettes, depuis l’impromptu, la sonate classique jusqu’au lied, forme de chambre vocale que le compositeur taillera en sculpteur toute sa vie. Il est transcrit et donc retravaillé pour le seul piano par Liszt, qui lui conférera son art et sa lecture propres. Les quatre œuvres réunies par l’interprète de ce soir constituent un échantillon de belle taille des genres de prédilection du compositeur.
Alexandre Chenorkian ouvre son récital par l’Impromptu n° 1, opus 142, en fa mineur, composé en 1827, soit le premier morceau du cahier le plus tardif du compositeur. L’impromptu est un genre dans lequel Schubert excelle à deux reprises et qu’il pense par quatre (Quatre Impromptus opus 90, D 899 et Quatre Impromptus, opus 142, D 935). Alors qu’il est dénué de parole et confié au seul piano, il est qualifié de pièce lyrique, tant – nous l’avons écouté hier soir – le romantisme naissant cherche à tisser des liens nouveaux entre la musique et les mots. Il redéfinit ainsi le lyrisme, qui ne renvoie plus seulement à la vocalité humaine, mais à un geste expressif particulier, chargé d’émotion et de signification purement musicales. Longuement développée, d’une durée d’exécution d’environ dix minutes, cette première pièce installe tout un microclimat, avec ses différentes séquences, ses orages soudains et ses ciels de traine. L’interprète y chemine, avec son toucher sensible ou solide, en faisant voyager ses mains sur le piano. On remarque dans l’ensemble du programme de la soirée, combien le compositeur exige du pianiste un geste de balancement pendulaire du bras gauche, qui trace ainsi un demi-cercle au-dessus de son bras droit, comme pour mieux arpenter les reliefs du clavier.
Cette première œuvre ouvre un chemin au « wanderer » – une personne qui se situe entre le voyageur et le vagabond – vers le Schubert/Liszt Gretchen am Spinnrade, Auf dem Wasser zu singen (Marguerite au rouet). La pratique, notamment lisztienne, de la transcription pour piano permet d’acheminer jusque dans l’intimité des salons les formations de musique de chambre ou symphonique. Elle est également une forme d’hommage, rendu par un compositeur à l’un de ses pairs, quand ce n’est pas le compositeur qui transcrit ses propres œuvres. Ce transfert possède une valeur musicale autonome, en ce qu’il confie à un seul instrument, le piano, une relecture à la fois plus homogène et transparente d’une œuvre en « version originale ». Elle agrandit et solidifie également le répertoire et oblige le compositeur à trouver des solutions ingénieuses, qui font évoluer l’écriture pianistique.
La transcription porte sur le Lied Marguerite au rouet, op. 2, D. 118, qu’écrit Schubert alors qu’il n’a que dix-sept ans, en 1814, sur un texte extrait du Faust de Goethe. Mais il montre une maîtrise, dès les premières œuvres de l’adolescence, d’un genre qu’il modèlera tout au long de sa courte vie, de la forme brève et strophique jusqu’à la grande ballade continue, entre 1811 et 1828. L’œuvre programmée ce soir travaille aussi l’avancée sensible du temps et de la musique, à travers la répétition d’un grand geste cyclique, qui met en mouvement un outil symbolique : le rouet. Il renvoie au tissage, au temps de l’attente, qui semble passer lentement, dans l’intériorité de la conscience de l’écrivain, des deux compositeurs, de l’interprète, de l’auditeur, et surtout, de Marguerite…
Ces deux pièces s’intègrent sans peine au couple de sonates qu’elles annoncent et préparent, d’autant que le public, spontanément, préfère retenir ses applaudissements jusqu’à la pause de l’entracte, afin de prolonger l’écoute par la vibration intérieure du silence.
Nicolas Bourdoncle, la veille, pour le concert inaugural de la partie aixoise du Festival, a fait vibrer au tout début de son récital, l’espace de l’auditorium Campra, par une sonate particulièrement prisée dans l’œuvre pour piano du compositeur, pour le développement de l’intime qui la caractérise. C’est un bel exercice d’écoute que de pouvoir entendre, presque à la suite, deux interprétations différentes d’une même pièce. C’est le cas, ce soir, avec cette concise et dense Sonate en la mineur, D.784, choisie peut-être pour ses beautés discrètes et secrètes par l’interprète du moment. Cette sonate, en cela, mérite que l’on y revienne, afin d’en contacter ce que les philosophes de la musique appellent l’ineffable : ce chant profondément humain qui se tient entre les notes. D’où l’appréhension délicate de cette œuvre tripartite (vif – lent – vif), par l’interprète comme par le public.
Après l’entracte, Alexandre Chenorkian poursuit son récital par une autre sonate – genre sur lequel Schubert reviendra plus de vingt fois -, la Sonate en la majeur, D.959, composée en 1828. Elle est, cette fois, en quatre mouvements – Allegro, Andantino, Scherzo, Rondo -, ce qui lui confère à la fois sa structure puissante et harmonieuse, presque mécanique dans le Scherzo, et les « longueurs », les sublimes répétitions, avec lesquelles le compositeur et l’interprète pétrissent la pâte du piano. Le ciel acoustique se lève sur une tonalité majeure, afin que le voyage – l’errance contrôlée – se poursuive dans la lumière et la sérénité. L’interprète, par ses retenues et ses variations de toucher, souligne combien le changement de tonalité – la modulation – tient un rôle fondamental dans l’œuvre du compositeur.
Si l’on a rêvé d’écouter de la musique vivante depuis plus d’un an, c’est aussi parce que la musique fait rêver, en particulier quand la nuit se fait pianistique.

Florence Lethurgez
Musicologue

Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence