Les Nuits pianistiques à l’Auditorium Campra le 4 août
Mercredi 4 août 2021 : 20 h 30
Musique de chambre
Böhme, Concerto en mi mineur opus 18
Ropartz, Andante et Allegro
Enesco, Légende
Arban, Fantaisie sur la Traviata, Variations sur le Carnaval de Venise
David Guerrier : trompette
Samuel Parent : piano
Entracte
Schumann, Adagio et Allegro en la bémol majeur opus 70 pour cor et piano
Brahms, Trio en mi bémol majeur opus 40, pour piano, violon et cor
Laurence Monti, violon
David Guerrier : trompette et cor
Samuel Parent : piano
Ce mercredi 4 août, la musique de chambre est mise à l’honneur et se décline en heureux contrastes et raretés, depuis la trompette et le violon, les œuvres de Ropartz et Arban. Le tapis permanent de l’accompagnement du piano, l’interprétation par un même artiste de la trompette et du cor, confère sa brillante solidité au programme de la soirée.
Un changement dans le programme annoncé est largement compensé par la présentation orale, aussi efficace qu’humoristique que font David Guerrier, l’homme-orchestre, et Samuel Parent, l’accompagnateur-soliste. Les deux interprètes mettent des mots sur les œuvres qu’ils s’apprêtent à jouer, afin d’informer le public, et surtout, de construire une relation complice avec lui.
L’Adagio et Allegro en la bémol majeur opus 70 pour cor et piano, composé en 1849 par Schumann, fait partie des œuvres de chambre pour vent du compositeur, qui tiennent sur les doigts de la main. Mais elles font souvent la part belle au cor, qui bénéficie de progrès dans sa facture, avec l’ajout du mécanisme des pistons. L’instrument renvoie, avec sa chaleur à la fois intime et lointaine, aux horizons les plus romantiques. De fait, ces œuvres de chambre sont souvent dédiées et crées par Clara Schumann. L’œuvre, en deux volets, est d’ailleurs écrite comme cadeau de Saint-Valentin par Schumann. Assez directement associée aux sentiments de Robert pour Clara, elle allie sensibilité intérieure et ampleur de vue, lyrisme mélodique et rigueur du contrepoint. Elle demande aux deux interprètes de partir en quête de leur singularité tout en étant capables d’atteindre un état fusionnel, que ce soit dans le caractère élégiaque du mouvement lent et dans celui, plus ardent, parfois inquiet, de l’allegro. Cela se traduit par une écriture faite d’enlacements harmonieux. Notons que le corniste se tient de profil, afin de diriger le pavillon de l’instrument vers le public. Il existe une version piano et violoncelle de cette œuvre, transcrite également pour violon par le compositeur, qui aimait à jouer ces pièces de chambre dans son salon, en fonction des amis musiciens présents à la soirée. À ce propos, Schumann rencontre Brahms en 1853. Il déclarera : « Brahms est venu me voir, un génie. »
Aussi, pour permettre à David Guerrier de reprendre ses forces et son souffle, le pianiste Samuel Parent, avec le 2e Intermezzo, op. 118, nous fait entrer dans l’univers de Brahms. Ces six pièces sont composées en 1893, et sont dédiées à et créées par l’épouse de Schumann, la grande pianiste et compositrice Clara. La pièce retenue est typique des œuvres tardives du compositeur, aussi méditatives qu’introspectives. Elle est une « berceuse de sa douleur », aux ondoiements fluides, aux étirements lyriques contenus. Elle concentre l’écoute.
En conclusion de cette première partie de programme, à géométrie variable, le duo s’étoffe d’une troisième partenaire chambriste, avec la violoniste Laurence Monti. Les interprètes s’emparent du Trio en mi bémol majeur, opus 40, pour piano, violon et cor, composé par Brahms, de 1864 à 1865. David Guerrier rappelle que Brahms jouait lui-même de ces trois instruments. La formation instrumentale, rare, correspond donc à l’univers sonore directement pratiqué par le compositeur. Le piano avec ses potentiels de résonance assure une médiation entre le violon et le cor. L’œuvre, d’une durée d’exécution d’environ 30 minutes, est structurée en quatre mouvements, selon le schéma habituel de la forme sonate (Andante, Scherzo, Adagio mesto, Finale : Allegro con brio). Mesto est une allusion à la tristesse du compositeur, très touché par le décès de sa mère, rappelle David Guerrier. Le compositeur s’inspire également de la Forêt noire, et exprime un sentiment de la nature, cher aux Romantiques. L’œuvre en restitue les moments de clarté solaire et d’ombre humide. C’est sans doute pour cela que le compositeur destine cette partition au cor naturel, alors que la facture instrumentale a, depuis longtemps déjà, doté le cor de pistons et de clés. Il revient à l’interprète d’en restituer le timbre plus sylvestre et sereinement mélancolique, avec son instrument moderne, ce qu’accomplit sans peine David Guerrier, par ailleurs attentif à interpréter les œuvres sur instrument d’époque. Ce soliste protéiforme, qui joue ce soir du cor, de la trompette et du cornet à pistons, instruments qui font appel à des techniques différentes, s’essaye également au tuba, au trombone, au violon, ainsi qu’à l’ophicléide (gros instrument à vent de la famille des cuivres, dont l’étymologie vient du grec ophis : serpent, et kleidos : clé -. Il change alors de place, afin de diriger le pavillon de son instrument vers le fond de la scène, de manière à obtenir une sonorité plus ouatée et développer, avec ses partenaires, de longues plaintes et plages sonores. Dans le scherzo, particulièrement virtuose, le moindre décalage pourrait être perçu. Laurence Monti semble insuffler le tempo, et diriger, depuis son archet, telle une baguette de chef d’orchestre, ses deux partenaires.
Après l’entracte, viennent des pièces de compositeurs moins connus, écrites spécifiquement pour exposer le potentiel sonore, expressif et virtuose de la trompette et du cornet à pistons.
L’Andante et Allegro du compositeur-organiste français Joseph-Guy Ropartz (1864-1955), est une œuvre de circonstance et de bravoure, composée pour le concours de sortie du Conservatoire de Paris, selon l’usage avant 1900. Il est vrai que Ropartz connait bien la maison, puisqu’il a quitté la classe de composition de Massenet pour entrer dans celle d’orgue de Franck. Il est un compositeur épris de toutes les couleurs instrumentales, de leurs timbres et modes de résonance propre, dont le trompettiste délivre ce soir sa propre palette. On apprécie, dans les parties vocales, l’ampleur et le soyeux d’un timbre qui se rapproche effectivement de la voix d’opéra.
Ropartz se lie d’amitié, en classe de composition, avec Georges Enesco, né en Moldavie roumaine en 1881 et mort en 1955 à Paris. Ce compositeur-pianiste et violoniste – qui sera le professeur de Menuhin – écrit une Légende en do mineur, pour le concours de sortie de 1906 du Conservatoire de Paris. La démonstration de virtuosité est donc encore au rendez-vous, notamment par une extension de la tessiture, de la « plage de jeu », et les diminutions rapides de la « ligne de jeu ». Mais elle reste nimbée par le style impressionniste de l’époque, ses sonorités rendues moelleuses par l’usage de la sourdine, ainsi que par l’enchainement d’affects et de climats, que le compositeur précise sur la partition : doux, grave, hésitant, pathétique, gracieux, mouvement agité, chantant, vif, furieusement, rêveur.
L’impasse est faite de l’œuvre initialement prévue d’Oskar Böhme (1870-1938) : son Concerto en mi mineur opus 18, de manière à insérer un autre intermède purement pianistique, avec la Sonatine de Ravel, composée entre 1903 et 1905. Œuvre ciselée, à la mécanique précise et sensuelle, aux intervalles typiques, elle est écrite à la même époque que celle de Ropartz, mais à l’occasion d’un concours de composition. C’est donc ici l’œuvre elle-même qui est mise au concours, et Ravel y démontre, sous les doigts de Samuel Parent, la finesse virtuose de son écriture.
Le concert s’achève sur un changement de genre, avec le thème et variations, et d’instrument, avec le cornet à pistons. Nous quittons le sérieux des concours pour les joies libres du carnaval, même si le compositeur-cornettiste français Jean-Baptiste Arban (1825-1889) est également un infatigable enseignant et concepteur de cet instrument. Les Variations sur le Carnaval de Venise s’inspirent du compositeur-violoniste Paganini, et non de l’opéra éponyme de l’aixois Campra… La pièce est fondée sur une mélodie populaire napolitaine : Oh Mamma, Mamma Cara sur laquelle Paganini a écrit vingt variations pour violon. Arban poursuit l’expérience, mais pour le cornet. Le jeu de chassé-croisé qui s’opère à l’échelle du Festival est tel que, le Souvenir de Paganini de Chopin, dédié à Paganini, est aussi une variation sur ce thème. En outre, David Guerrier précise que Berlioz ajoutera un cornet « obligé » au Bal de sa Symphonie fantastique, après avoir entendu jouer Arban. L’interprétation est l’objet d’un jeu de scène et de sons irrésistible entre les deux musiciens-acteurs. L’imperturbable pianiste accompagne de son même « refrain », son corniste, qui bricole et caracole avec son instrument.
Retour au calme avec l’Ave Maria de Schubert, donné en bis, qui permet, une dernière fois, d’apprécier la vocalité soyeuse du cornet.
Une nouvelle nuit, dédiée aux sonorités rares, tombe avec douceur sur le Festival.
Florence Lethurgez
Musicologue
Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence