Récital de Nicolas Bourdoncle

Jeudi 11 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Récital de piano
Schubert, Sonate en la mineur, D784
Chopin, Polonaise Fantaisie opus 62 en la bémol majeur
Debussy, Toccata
Entracte
Chopin, Sonate n° 2 en si bémol mineur opus 35
Balakirev, Islamey, fantaisie orientale
Nicolas Bourdoncle : piano

C’est à un voyage à travers le temps de la musique, sa durée particulière, que nous invite le jeune pianiste Nicolas Bourdoncle, déjà aguerri à l’exercice de la scène, en récital, en musique de chambre comme en musique concertante.
Le programme de cet avant-dernier récital du Festival Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence, est construit autour des grands genres investis par la musique pour piano : la musique pure, la musique entretenant un rapport avec un propos, une origine, et, à l’articulation des deux, le genre particulier de la fantaisie, qui entretient un rapport privilégié avec l’imagination créatrice, pour le compositeur, l’interprète et l’auditeur. Toutes ces œuvres opposent une matière chaotique, fiévreuse ou complexe au miracle de la cantilène, lumineuse et sereine, qui vient parler directement dans le cœur des Hommes.
C’est le triple défi que relève avec puissance et assurance le jeune soliste, dont on perçoit le souffle, littéralement et symboliquement, aux moments les plus structurants des œuvres, là où se joue leur cohérence formelle et leur expressivité.
Le Schubert de la Sonate en la mineur, D784, fait repartir le wanderer, dans ses trois mouvements, faits d’oscillations entre lumière et ténèbres. Le wanderer (le personnage de l’errant) est comme le double du compositeur, qui jamais ne parvient à installer dans la durée ses moments de sérénité. Le soliste parvient à exprimer le « sensible de soi » qui tourmente Schubert. Il se traduit par une manière d’organiser l’œuvre autour de notes répétées, battements de cœur en attente, auxquels s’opposent de nombreux soubresauts. Dans les fugitifs moments de grâce, le regard du pianiste s’envole vers les cintres de la scène. Il semble illustrer le conseil de l’astrophysicien Stephen Hawking, théoricien d’une autre manière de concevoir les liens entre l’espace et le temps : « Rappelez-vous de regarder les étoiles et non vos pieds ».
Avec la Polonaise-Fantaisie de Chopin se poursuit le questionnement de la longue durée, d’une matière qui s’écoule, d’une confidence qui s’écoute. La main aux longs doigts de Chopin est intégrée par l’interprète qui parvient à faire frissonner les touches du clavier, d’où se libèrent des poussières d’étoiles. La Fantaisie relève d’une musique de climats, d’ambiances, que l’oreille reçoit tout entiers. Le rythme de polonaise, fugitivement évoqué, se transforme, par l’interprétation de Nicolas Bourdoncle, en obsession cathartique.
C’est alors que la Toccata de Debussy en prolonge les effets. La dimension gestuelle, virtuose, « de bravoure » disparaît, dès que s’élève un chant qui semble se souvenir de l’aube de la musique, de ses premiers pas hésitants, de ses couleurs arc-en-ciel.
Après l’entracte vient le crépuscule, avec la Sonate n° 2 en si bémol mineur de Chopin, dite Funèbre, alors que le voyage du wanderer touche à sa fin, et que le temps fuit inexorablement. Le pianiste parvient à donner aux cellules rythmiques qui parsèment les différents moments de l’œuvre, en particulier le premier mouvement, une énergie interne qui leur permettent de tournoyer sur elles-mêmes, avant de trouver l’issue fatale. Vient la marche funèbre qui illustre le « noir dessin » du compositeur, auquel s’oppose encore le miracle de la cantilène centrale, véritable « point de rosée » de l’ensemble de la sonate, s’achèvant dans un souffle terrible. Le pianiste, pourtant, parvient à retenir de cette étoile filante – par d’infimes mouvements digitaux – des bribes de chant qui viennent consoler l’auditeur.
Surgit alors de ce bouillonnement la fantaisie orientale Islamey de Balakirev. Dans cette œuvre également, l’interprète « fait lumière de tout bois », tandis qu’une cantilène s’élève encore d’une aube calme, au-dessus des eaux brumeuses de la résonance. Le temps file entre les doigts du pianiste, qui agence octaves et glissandi, comme si l’œuvre était une grande toccata.
Après ce déluge pianistique, Nicolas Bourdoncle, très applaudi, propose deux bis chopiniens, « pour changer d’ambiance », dit-il. Elles n’en reposent pas moins, judicieusement, l’un sur la répétition obsédante, l’autre sur l’essence nocturne d’un compositeur débarrassé de son image de pianiste de salon. Avec ces œuvres, courtes mais denses, le piano se referme alors dans son bel écrin.