Soirée musicale Jeudi 28 juillet à L’Église Saint-Jean de Malte

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Jeudi 28 juillet : 17h30 à L’Église Saint-Jean de Malte

Musique de chambre
MessiaenQuatuor pour la fin du temps
Patrick Zygmanovski : piano
Frédéric Moreau : violon
Véronique Marin : violoncelle
Dominique Vidal : clarinette

Nous nous déplaçons, en cette première semaine du Festival Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence, à l’église Saint-Jean de Malte, située dans le quartier Mazarin, qui a su préserver son patrimoine architectural d’hôtels particuliers des 17e et 18e siècles, juste à côté du Musée Granet. Cet environnement offre à la musique un écrin sans pareil. Il permet une expérience immersive qui convient particulièrement à l’œuvre programmée.

Les quatre musiciens du quatuor, Véronique Marin au violoncelle, Frédéric Moreau au violon, Dominique Vidal à la clarinette et Patrick Zygmanovski au piano, sont symboliquement la représentation musicale du tétramorphe, soit les « quatre vivants », ou encore les quatre évangélistes : le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l’homme pour Matthieu et l’aigle pour Jean. Et l’on sait combien Olivier Messiaen était croyant, et emplissait toute sa musique de ferveur spirituelle.

Mais plus concrètement, ils correspondent aux trois musiciens, en plus du compositeur Messiaen au piano, qui étaient ses compagnons de captivité dans un camp de prisonniers, en Silésie (région à l’intersection de la Pologne, de la République tchèque et de l’Allemagne), au stalag 8-A à Görlitz : un violoniste, un violoncelliste et un clarinettiste.

Ce quatuor constitue ce que l’on va appeler dans le milieu de la musique contemporaine, un « ensemble composite », qui s’écarte des formations classiques constituées, comme le quatuor à corde, ou, sur le modèle de ce que nous avons écouté la veille, le Quintette à vent avec piano de Mozart ou le Septuor à vent avec piano de Poulenc.

Nous sommes aux derniers jours du printemps 1940. Derrière l’éboulement de la ligne Maginot, la Wehrmacht fait prisonniers trois musiciens : Henri Akoka, un clarinettiste, Étienne Pasquier, un violoncelliste de renom, faisant partie du Trio Pasquier, et Messiaen, qui a pu emporter avec lui des partitions de poche de Bach, mais également de musiciens « dégénérés » aux yeux des nazis, comme Berg.

Messiaen avait également emporté l’un des mouvements que vous écouterez dans le quatuor, intitulé Abîme des oiseaux, pour clarinette solo. Il faut savoir que Messiaen était ornithologue d’une part, et associait naturellement des couleurs aux sons d’autre part, phénomène qui sera accentué par la captivité, le froid et la malnutrition. Cela lui donne des visions arc-en-ciel emplies de couleurs palpitantes, qui rappellent la lumière des vitraux de l’églises dans laquelle nous nous trouvons, de grands jaillissements de lave bleu-orange, par exemple (notons que les musiciens portent, en plus du noir traditionnel, des vêtements bleus, couleur préférée de Messiaen…).

Peu de temps après, les trois prisonniers sont rejoints, en captivité, par le violoniste Jean Le Boulaire. Les musiciens, l’un athée, un autre agnostique, un autre juif trotskyste, et Messiaen, catholique mystique, se rejoignent sur un projet de composition, puis de concert.

De fait, les musiciens sont relativement bien traités, car la musique est quelque chose d’important, pour les officiers Allemands. Un capitaine du camp fournit du papier et de quoi écrire à Messiaen, et le met à l’isolement – le dispensant des travaux forcés – pour lui permettre de composer. Les mélomanes Allemands arrivent à trouver un violon, un vieux piano dont les touches ne se relèvent pas toujours. Une version, rapportée par Rebecca Rischin, dans son ouvrage Et Messiaen composaGenèse du quatuor pour la fin des temps, citée par Richard Powers dans Orfeo (Collection 10-18, p. 135), sur laquelle nous nous appuyons, mentionne que des centaines de prisonniers vont se cotiser pour acheter un violoncelle à Pasquier au prix de 65 marks. D’autres versions,

difficilement vérifiables dans le cas de circonstances de composition et de création aussi exceptionnelles, mentionnent que l’instrument aura été construit de toute pièce, à partir de matériaux et de compétences réunies dans le camp… Il est rapporté, en outre, que l’une des clés de la clarinette aura fondu, parce qu’elle avait été placée trop à proximité du poêle par un hiver à – 15 degrés. Enfin, les répétitions auront lieu dans les latrines du camp…

Messiaen déploie sa vision apocalyptique en huit volets, en relation avec le regard d’un ange surgissant de la Cité céleste. Le langage musical propre à Messiaen est très particulier ; d’abord sur le plan rythmique : il n’est pas possible de battre la mesure de manière traditionnelle. En outre, son langage est atonal ; il emprunte à des modes anciens ou non occidentaux, qui permettent aux sons de flotter, comme en apesanteur. Ce qui importe, pour le compositeur, dans la relation étroite qu’il établit entre les timbres et les textures, c’est que les sons fusent ou explosent, dans les extrêmes des tessitures instrumentales. Tout cela donne à l’œuvre, conjointement, une grande limpidité et une grande complexité.

Le concert commence à dix-huit heures, au baraquement 27, un soir de janvier 1941, pour un public d’une centaine de prisonniers encadrés par les officiers allemands amateurs de musique. Messiaen prend soin d’expliquer son œuvre au public, notamment sa forme inhabituelle en huit mouvements, un pour chaque jour de la création, le jour de repos et le Dernier jour. Il évoque son langage musical, fait de couleurs, de chants d’oiseaux, de modes mélodiques et rythmiques « à valeur ajoutée ». On sait que Messiaen, professeur au conservatoire national de musique de Paris, d’analyse puis de composition, contribuera à généraliser la pratique de communication qui consiste, pour un compositeur, à écrire une notice de présentation de son œuvre en direction du public…

Le violoniste, Jean Le Boulaire, se souvient que l’œuvre avait suscité « beaucoup de discussions irrésolues à propos de cette chose que personne n’avait compris ». Pourtant, l’œuvre continue à vivre de nos jours, encore et toujours, peut-être jusqu’à la fin des temps.

Son propos, extrait de l’Apocalypse de Jean, ses alliages de timbre, littéralement inouïs, ses dimensions mystiques et mémorielles, constituent un défi pour les solistes du quatuor. Ils parviennent à faire résonner, sous les voûtes, un message d’espérance, ensemble comme dans la Danse de la fureur pour les sept trompettes, ou séparément.

Les timbres que le clarinettiste Dominique Vidal parvient à extraire de son instrument sont en osmose avec la singularité du lieu. Ils épousent les contours des nefs gothiques et se parent des harmoniques de l’orgue. Le violoncelle de Véronique Marin et le violon de Frédéric Moreau étirent à l’infini, sans jamais détimbrer, leurs longues lignes plaintives, tandis que le piano de Patrick Zygmanovski, polymorphe, insuffle la pulsation ou amplifie la vibration de ce qui, pour Messiaen, est l’expression musicale du Verbe créateur.

Un public fasciné et concentré applaudit longuement les artistes qui ont su transmettre et transcender la matière et l’esprit d’une œuvre monument.

Florence Lethurgez
Musicologue