Les Nuits Pianistiques au Grand Hôtel du Roi René
Le pianiste italien Maurizio Moretta offre en matinée dominicale, dans l’un des salons feutrés du Grand Hôtel du Roi René, un programme chronologique, qui de Mozart à Debussy, est appréhendé avec une digitalité précise et ciselée.
La Fantaisie n° 3 K397 en ré mineur de Mozart permet à l’interprète d’égrainer des notes, paraissant librement disposées sur la partition, avec éclat et profondeur, donnant la parole à tel ou tel personnage, tel ou tel thème, comme s’il s’agissait d’un théâtre miniature. Les éléments que comporte une œuvre influencée par l’empfindsamkeit (le style sensible et ses accents lyriques et expressifs) sont soigneusement soulignés, depuis une main structurée pour ce langage fait de gammes, d’arpèges et de basses d’Alberti.
Ce langage est encore à l’œuvre, dans la Sonata n°14 “Quasi una fantasia” en do dièse mineur de Beethoven, même si le compositeur s’éloigne déjà des codes formels propre à la sonate classique. Aussi, chaque paramètre tonal est travaillé avec clarté par le pianiste, qui souligne les strates sonores, les oppositions de tessiture, les ruptures rythmiques et mélodiques. L’attirance vers l’abime clôt le premier mouvement, tandis que le deuxième respecte un tempo relativement lent, qui permet d’apprécier son écriture faussement simple, ses syncopes et ses modes d’attaque. Le prestissimo est éruptif, l’élément mélodique bien isolé, en regard du fracas des graves et des rythmes chaotiques. La pédale – l’artiste mobilise les trois – permet de dessiner de longues plages de résonnances. Le piano sonne de manière granitique, depuis des doigts qui actionnent le clavier de manière solide et verticale.
Ce toucher vient rencontrer l’univers de Chopin, dans trois opus : le Nocturne n° 2 opus 9 en mi bémol majeur, le Nocturne n° 2 opus 27 en ré bémol majeur puis la Fantaisie-Impromptu opus posthume 66 en do dièse mineur. L’écriture contrapuntique et rigoureuse qui s’allie au lyrisme et à la poésie chez le compositeur polonais, est l’objet d’une relecture qui souligne la profondeur de la basse harmonique ainsi que les changements de tonalités. La mélodie semble sourdre de l’accompagnement plutôt que l’inverse, l’artiste cherchant à révéler l’architecture profonde des œuvres. Ainsi, le legato est plus harmonique que mélodique, ce qui exige un contrôle particulièrement fin de la pédale. La main s’empare du clavier, plus qu’elle ne le caresse, en particulier dans l’apothéose de perles blanches et noires qu’est la Fantaisie-Impromptu.
L’Arabesque n° 1 de Debussy apporte un retour au calme. Le chant s’enchevêtre à l’harmonie, écriture que le pianiste appréhende en travaillant les résonnances, les délitements mélodiques, sans céder aux facilités, comme il se doit chez Debussy, du lyrisme.
Deux bis, demandés avec empressement par le public, viennent clore le récital, à la manière d’un salon romantique. La valse du petit chien (Minute Waltz) de Chopin met en valeur le jeu sonore et perlé de l’artiste. Ce dernier rend enfin hommage à ses origines, avec la pièce de genre Le lac de Côme de Galos (El lago de Como), qui repose sur l’évocation digitale de ses eaux fraiches et joyeuses.
Florence Lethurgez
Musicologue