Soirée musicale Samedi 30 juillet à l’auditorium Campra

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Samedi 30 juillet : 20h30 à l’auditorium Campra

Avec le soutien de SHZ Consulting
Soirée symphonique avec l’orchestre Philharmonique de Marseille autour du pianiste et compositeur Carlos Roque Alsina
DebussyPrélude à l’Après-midi d’un faune
ChopinAndante Spianato (orchestration Alsina) et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur opus 22 ( ed. PWM))
Roque AlsinaStücke (ed. Zerboni)
Entracte
AlsinaSuite indirecte (ed. Zerboni)
GriegConcerto en la mineur opus 16
Carlos Roque Alsina : Piano
L’Orchestre Philharmonique de Marseille
Valentin Doni : direction

La première semaine du Festival-Académie Les nuits pianistiques d’Aix-en-Provence se termine par un concert historique, à plusieurs titres : historique en ce qu’il célèbre les 30 ans de notre événement culturel ; historique en ce qu’il célèbre l’anniversaire d’une personnalité marquante au sein du monde musical ; historique dans la conception même du programme de la soirée, qui articule en deux volets, musique classique ou moderne, musique symphonique et concertante, partition d’origine et arrangement.

Ce concert marque musicalement et symboliquement l’histoire du Festival, et fête un anniversaire dans l’anniversaire, celui de Carlos Roque Alsina, compositeur d’origine hongroise, par sa mère, et argentine, par son père, au cours d’une soirée qui lui est dédiée. Elle a lieu le samedi 30 juillet, afin de rester fidèle au nombre 30 ! Alsina a été un des professeurs de piano de Michel Bourdoncle, directeur artistique du Festival-Académie, ainsi qu’un ami de plus de quarante ans. Son histoire rejoint l’histoire du festival.

Le concert-hommage expose les différentes facettes d’une trajectoire exceptionnelle d’interprète, d’enseignant et de compositeur, qu’Alsina est arrivé et arrive encore à mener de front durant sa vie. Elles sont toutes traversées par un même souffle lyrique et puissant que le public de la salle Campra éprouve concrètement, parce que l’artiste, en personne, est présent, en tant que compositeur, arrangeur et interprète.

Le chef roumain, Valentin Doni, est à la baguette, avec sa gestique ronde, accueillante et respectueuse de la marge de liberté qui s’attache à l’expression musicale de chacun des membres de l’Orchestre Philarmonique de Marseille. Ce dernier est en grande forme, du côté des vents et des percussions notamment. Il est la troisième phalange invitée depuis le début du Festival.

Valentin Doni parvient à extraire de la phalange l’ample et frissonnante ligne du Prélude à l’Après-midi d’un Faune de Debussy, œuvre qui marque symboliquement l’entrée dans la musique du vingtième siècle : un premier matin de la musique contemporaine. La musique de Debussy promène le regard du Faune, lors de ses balades d’après-midi, en empruntant les chemins discrets d’une forme, souple, ductile et organique. Le choix d’introduire le concert par cette œuvre est judicieux, quand on sait la valeur que le compositeur Alsina accorde à la forme, au sein de ses propres compositions et qu’il redéfinit d’une manière qui lui est propre.

Puis le Chopin de l’Andante Spianato et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur opus 22, orchestrée par le Alsina, permet d’entrer dans la forme concertante, tout en douceur puis en ferveur. Un halo harmonique semble se dégager de l’intérieur du piano, telle une vapeur sonore, qui amplifie le potentiel de résonnance de la partition. Le compositeur, devenu interprète, introduit dans les lignes lyriques de Chopin, des points de repères sonores, qui permettent au chef d’être un médiateur attentif entre le soliste et la phalange. Le résultat final sonne comme une méditation, une improvisation, émanant des forces scéniques, alors que la deuxième partie de la pièce, la Grande Polonaise, demande une grande précision rythmique. Soliste et chef sont connectés par leur écoute intérieure du déploiement sonore, qui amène et ramène jusqu’aux cimes de l’œuvre, le thème principal.

De part et d’autre de l’entracte sont interprétées deux œuvres du compositeur, Stücke et Suite indirecte, dont les titres génériques – et non thématique comme celui du Prélude à l’après-midi d’un Faune – signalent l’importance de la forme, profondément structurante, dans toute l’œuvre du compositeur. Le plaisir qu’a la phalange à jouer de la musique contemporaine est aussi rare que palpable. La scène de l’auditorium devient une grande boîte à musique, qui démontre toutes les potentialités sonores d’une formation symphonique, particulièrement étoffée par un imposant instrumentarium de percussions. La suite est « indirecte », en outre, par ce qu’elle veut montrer que la musique n’existe que par l’interprétation et l’écoute qui en est faite, et qu’elle résulte de la subjectivité humaine, en dépit de sa fixation par la notation et l’orchestration. Les deux œuvres retenues relèvent de la forme suite – initialement de danse -, qui permet à chaque pièce de dégager le potentiel de continuité et de rupture du son musical. Ce dernier est travaillé dans la masse et avec précision, comme s’il s’agissait, avec ces œuvres,  d’un chantier de fouilles archéologiques. Bruits blancs et noirs, comme en hommage au clavier du piano, palpitent, explosent, se superposent de concert et terminent tous sur un silence intempestif, qui parfois, laisse filtrer quelques sonorités résiduelles. Les œuvres d’Alsina semblent vouloir parvenir à capter l’origine du son, et à en libérer le potentiel lyrique. Elles sont écrites dans les marges du silence et le son ne tient qu’à un fil, même lorsqu’il s’impose en tutti colossaux, qui font entrer les auditeurs dans le cœur de la matière sonore. Le compositeur, qui a vécu entre les cultures et les continents, conçoit une musique en grande dimension, une musique d’immensités, engageant toute l’énergie et l’humanité de ses interprètes.

C’est à nouveau l’interprète Alsina qui vient clore cette soirée monumentale par le Concerto en la mineur opus 16 de Grieg, qui aura joué un grand rôle dans ses débuts de pianiste.

Les extrémités de ses phalanges sont chargées d’énergie électrique, et semblent franchir le mur du son, pour exécuter, en compositeur, cette œuvre aussi solide que limpide, aussi technique que lyrique. Le rapport concret au timbre du compositeur, habitué à en malaxer la matière, est accueilli par le chef Valentin Doni. Ce dernier semble venir puiser dans le « ventre » du piano, pour insuffler à l’orchestre les dimensions percussive ou expressive, d’une musique qui bouillonne. Elle le fait notamment pendant les cadences, alors que le pianiste est seul, et joue à la fois en interprète, en chef d’orchestre et en compositeur.

Alsina, applaudi très longuement par le public, lui accorde deux bis, comme deux autres facettes de sa personnalité : un bouquet de trois préludes de Chopin, « qu’il donne toujours à travailler à ses élèves » – le professeur n’est jamais très loin – ainsi qu’un autre bouquet de danses roumaines de Bartók qu’il dédie au chef d’orchestre ainsi qu’à sa mère, hongroise, disparue alors qu’il n’avait que 9 ans. C’est depuis les oreilles et les doigts d’un enfant qui écoutait en boucle le disque 78 tours de ces danses, qu’il interprète sa propre version et se situe à l’intersection exacte de ses activités d’interprète et de compositeur, mais également d’élève et d’auditeur.

C’est avec bonheur que sont réunis, en une seule personne, toutes les manières d’entrer en relation avec la musique, de son audition à sa création, en passant par son interprétation. En maestro de la scène de cette soirée, c’est Alsina qui vient chercher le premier violon pour donner le signal de départ à l’orchestre. Ce concert, comme un solide disque 78 tour, fera date et restera gravé dans les sillons de la mémoire du Festival et de ses publics.

Florence Lethurgez
Musicologue