Les Nuits pianistiques à l’Auditorium Campra le 5 août

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Jean-marc Luisada piano

Jeudi 5 août 2021 : 20 h 30

Récital de piano
Mozart, Un petit rien, Fantaisie en ré mineur, Glass harmonica adagio
Chopin, Mazurka en la mineur
Mozart, Sonate n° 11 en la majeur K.331
Chopin, Valse en la mineur, Grande valse brillante en mi bémol majeur opus 18, Fantaisie en fa mineur opus 49
Mozart, Un petit rien

Jean Marc Luisada : piano

Le Festival Les Nuits pianistiques aime l’alternance entre le récital de piano et les formations de chambre, les époques et les genres. Ce soir, le pianiste Jean-Marc Luisada, fidèle à l’esprit des lieux, propose un programme qui fait alterner les compositeurs Mozart et Chopin.

Le pianiste français Jean-Marc Luisada, également présent comme professeur de l’Académie qui se tient dans les lieux, propose un récital cousu main – de pianiste -, fondé sur un dialogue subtil entre des pièces composées par Mozart et Chopin. Comme à son habitude, Luisada déplace les codes du concert traditionnel, en jouant sur une chaise, avec partitions et tourneur, en l’occurrence tourneuse, de pages « obligé ». Il s’adresse au public comme s’il s’agissait d’invités, dans son propre salon. Il se montre d’une exquise courtoisie et ne manque pas de saluer, à la japonaise, sa tourneuse de page, avant même de saluer le public. En outre, sa conception du récital est thématique et signifie quelque chose. Il cherche à faire émerger des points de contact entre les deux compositeurs, sans tomber dans le piège de la comparaison. Deux essences musicales se répondent mutuellement. Elles se rencontrent, dans les œuvres sélectionnées par le soliste, sur un art de la vocalité humaine, à la croisée de la musique et du langage, du son et du sens.
Mozart encadre le programme du récital par un extrait d’une pièce très particulière : « Un petit rien ». Il provient de la musique du ballet-pantomime Les petits Riens, de Jean-Georges Noverre, maître de ballet au Palais-Royal, composée en 1778. Sur une basse d’Alberti, un thème en forme d’air, facilement mémorisable et chantable, est le « petit rien » de la soirée, transcrit pour piano par Renaud de Vilbac : un élément en apparence anodin, mais qui peut changer votre vie… Cet extrait de musique miniature, d’inspiration pastorale, interprété par Luisada avec délicatesse et rondeur, confère un esprit léger et ineffable à la relation qui se construit progressivement entre le pianiste et le public pendant le déroulement du concert. Un auditeur peut se mettre à penser à Zizi Jeanmaire, un autre – peut-être Luisada lui-même, fin connaisseur du 7e art – au film éponyme du réalisateur Raymond Leboursier, sorti en 1942, et qui utilise la musique de Mozart, arrangée par Georges Auric. En effet, dans ce film, différents personnages racontent leur vie en montrant combien un « petit rien » a pu changer leur destin. De fait, le voyage à Paris du jeune Mozart en 1778 n’aura rien de léger, avec le décès de sa mère et son échec professionnel dans la capitale française.
Suit donc la Fantaisie en ré mineur, pièce typique de l’Empfindsamkeit, ou style sensible, ce préromantisme qui a marqué les dernières décennies du 18e siècle, et qui s’opposait à la froide raison de l’Aufklärung, Les Lumières, qui rayonnait dans toute l’Europe. L’expression sensible prédomine et l’on sent, derrière ces pages, l’influence d’un des fils de Bach, Karl Philipp Emanuel, dont les fantaisies comptent parmi ses pages les plus célèbres et qu’admirait tant Mozart. On reconnaît dans cette pièce les silences parsemés, les contrastes de tempi et d’écriture, les modulations soudaines, l’opposition systématique entre le majeur et le mineur qui constitue une grammaire du style sensible qu’articule à merveille la gestuelle chorégraphique de Luisada. La fantaisie est le genre-clé de la soirée ; elle renvoie à l’imagination et à l’image, à cette forme de pensée concrète et immersive, dans laquelle nous plonge le récital.
Le timbre fruité de ce début de récital se couvre d’un léger duvet, avec la pièce suivante : la transcription pour piano du Glass harmonica adagio – l’harmonica de verre -, instrument aujourd’hui disparu. Un usage très particulier de la pédale droite du piano, qui entretient la résonance permet au pianiste et à son imagination de figurer le timbre tintinnabulant et voilé de ce curieux instrument, et d’explorer les registres aigu et suraigu du piano.
Le dialogue se noue, sans transition, avec Chopin. Il prend alors la parole avec sa Mazurka en la mineur, opus 19, n°4, Lento ma non troppo, composée entre les années 1830 et 1833. La mazurka est un genre qu’il travaillera tout au long de son existence, d’après une danse traditionnelle polonaise et son rythme caractéristique à trois temps. L’accentuation des temps faibles donne au phrasé sa passionnante liberté, ce rubato qui est un graal, pour le cercle fermé des spécialistes de Chopin. Entre froufrou délicat et bourdon rustique, le compositeur polonais trouve un équilibre entre expression mélancolique du moi et tradition collective. Un des ressorts du romantisme est l’exaltation du sentiment national. Il s’exprime dans cette Mazurka, comme un souvenir douloureux, mais transfiguré par la musique, de la terre natale. Chopin fera toute sa carrière de musicien en France, suite à l’échec de l’insurrection polonaise de 1830 et son écrasement par la Russie. Soudain, la musique s’arrête…
Et Mozart réapparait, en force, avec sa célèbre Sonate n° 11 en la majeur K.331. Il partage avec Chopin, lorsqu’il écrit cette pièce, le fait d’avoir quitté sa terre natale, pour se rendre à Paris, en 1778. Il dévoile ici sa facette plus classique. La structure de la forme sonate donne sa solidité et son aplomb aux thèmes graciles de la période pré-classique. Elle adopte le style français, avec son thème et variation, son menuet et son célèbre rondeau final, alla turca, pastiche d’un orchestre de janissaires turcs. Luisada en propose une interprétation légère, aérienne et élégante, afin de rester dans la couleur délicate du « Petit rien » initial.
Retour à Chopin, avec une autre danse, que le compositeur sublime pour le piano, la Valse en la mineur, sa toute première. L’opposition de tonalité (la majeur puis la mineur) ne semble pas fortuite. Plus encore que pour la mazurka, Chopin affranchit la valse, après Beethoven et Schubert, de sa fonction chorégraphique, pour en faire un véritable creuset de ses rêveries poétiques. Luisada enchaîne cette valse lyrique, intimiste, aux harmonies et rythmes recherchés, avec le second type de valses écrites par Chopin : la valse brillante, à la virtuosité tournoyante. La Grande valse brillante en mi bémol majeur opus 18 n’est pas une invitation à danser mais l’expression musicale d’un émerveillement du compositeur pour le mécanisme de double échappement, inventé par Erard, qui permet au pianiste de faire des notes répétées très rapidement… ce « petit rien » qui change tout. Composée en 1831, elle se développe en six parties et fait un large usage de motifs aux notes répétées, pour montrer le potentiel, la mécanique bien huilée de l’instrument.
Retour à la Fantaisie, de structure libre, et de vaste dimension chez Chopin, comme si le fil rouge de tout le récital, était la libre imagination d’un poète du piano, capable d’exprimer entre les notes, cet insaisissable « petit rien » qu’est l’émotion musicale. La Fantaisie en fa mineur opus 49, composée en 1841, est maintenant l’occasion d’explorer le registre le plus grave du piano, avec un rythme de marche funèbre, qui n’a plus rien de léger, de tendre ou de brillant. Elle devient progressivement fiévreuse et virtuose, balaye le clavier sur toute sa longueur, à force d’arpèges, octaves, déplacements et autres éléments démonstratifs, tout en restant, dans l’interprétation qu’en fait Luisada, dans l’ordre du discours et non celui du décor.
L’issue du récital glisse habilement sur le retour d’un extrait des « Petits riens » de Mozart. Il a la profonde légèreté d’une clé musicale qui ouvre et ferme le programme du concert.
Suite à des applaudissements nourris et scandés, la difficulté pour l’artiste est de trouver des bis qui viennent ré-entrouvrir puis fermer définitivement la porte. Luisada se montre généreux et inventif, avec une transcription due au pianiste Alexandre Tharaud de l’Adagietto de la cinquième symphonie de Mahler. Ses étirements sans fin de la matière sonore annoncent la remise en question de la tonalité, tandis que le deuxième bis, dû à Bizet, vient triomphalement la réinstaller, avec son thème qui déroule une gamme. Il s’agit d’un de ses Lieder sans parole, L’aurore.
La nuit pianistique s’achève sur la 2e Rhapsodie de l’opus 118 de Brahms, ce moment unique d’équilibre de l’écriture tonale entre contrainte et liberté. Le pianiste parle…

Florence Lethurgez
Musicologue

Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence