Récital de piano de Leonel Morales
Jeudi 4 août : 20h30 à l’auditorium Campra
Récital de piano, Leonel Morales
Mozart, Sonate en ré majeur K311
Beethoven, Sonate n° 23 opus 57 en fa mineur, dite Apassionata
Entracte
Brahms, Sonate n° 3 opus 5 en fa mineur
Leonel Morales : piano
La série de récitals offerts cet été par le Festival-Académie Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence se poursuit avec celui du pianiste cubain Leonel Morales. L’artiste, en interprète et en musicologue, explore les potentialités formelles et expressives de la forme sonate, depuis Mozart jusqu’à Brahms, avec ce trait d’union essentiel qu’est Beethoven.
C’est avec un toucher en patte de velours que l’interprète aborde la Sonate en ré majeur K311 de Mozart, plus galante que classique, plus gracile que dramatique, au sein d’un univers sonore qui se transforme en une scène d’opéra miniature. Les thèmes sont présentés, le pianiste se faisant « maître de théâtre », avec de fines modulations de timbre, comme le ferait un chanteur qui passerait de sa voix de tête à sa voix de poitrine. Ces modulations peuvent ou veulent parfois chercher à rappeler le pianoforte. Le legato est bien souligné, la basse d’Alberti poudrée, les traits – vocalises instrumentales – sont structurés par d’infimes résonnances, grâce à l’usage de la pédale. Le pianiste semble vouloir montrer la manière dont Mozart s’empare du langage tonal et de la forme sonate, pour agrandir les potentialités du piano ; à moins que ce ne soit l’inverse, dans cette dialectique subtile entre la matrice formelle abstraite et la réalisation sonore concrète.
Cette réflexion musicale se poursuit avec la Sonate n° 23 opus 57 en fa mineur, dite Apassionata de Beethoven. L’intitulation marque l’écart entre ce que chaque époque demande à la musique en matière d’expression, pure ou attachée à un affect précis. C’est également le Beethoven explorateur du piano que cherche à restituer Morales, dans sa manière d’investir un clavier agrandi, polarisé entre les extrêmes de sa tessiture, de faire s’enrouler telle ou telle idée thématique sur elle-même, de trahir l’attente de résolution, enfin d’intégrer le silence à la danse sonore. Les traits d’arpèges, loin d’installer la tonalité et d’avoir une fonction grammaticale, deviennent des couleurs, dans une palette aux tons lumineux ou sombres, tandis que des cellules rythmico-mélodiques éclaboussent le clavier de part en part. Les mains du pianiste se répartissent un matériau sonore complexe, parfois illisible, souvent éruptif, pour mieux traduire la logique d’écriture, expérimentale et obsessionnelle du compositeur : tout un monde de deux mains.
En la matière, le troisième opus interprété par Morales, après l’entracte, n’est pas en reste, avec la Sonate n° 3 opus 5 en fa mineur de Brahms, édifice monumental de la forme sonate pour piano, à la secrète géométrie. Un monde déjà désarticulé chez Beethoven, se voit soumis à la question chez Brahms, réinterrogé sur ses fondements. La tonalité est étirée jusqu’à ses confins, tandis qu’une pâte sonore, ductile et dense, est modelée et émerge des clartés du silence, lequel est encore davantage intégré à la composition chez Brahms que chez Beethoven. L’œuvre est un territoire, raviné, érodé, excavé, tandis que les idées thématiques empruntent à la cellule beethovenienne comme à la cantilène mozartienne. Parfois, la ligne mélodique surgit de l’écriture harmonique, grâce au legato du pianiste, et à son utilisation soignée de la pédale, l’ensemble sonnant comme un choral. Le piano devient un espace en soi, que chaque doigt des deux mains de l’interprète arpente à sa façon.
Pour ce qui est d’arpenter les territoires, Morales offre trois bis de musique cubaine, qui révèlent, après ce parcours dans une histoire du piano germanique, son attachement au sol natal et latin : Malagueña d’Ernesto Lecuona, Picotazos et Adios a Cuba d’Ignatio Cervantes.
Florence Lethurgez
Musicologue