Soirée musicale mercredi 3 août à l’auditorium Campra

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Mercredi 3 août : 20h30 à l’auditorium Campra

Récital de piano, Alexandre Lory
MessiaenRegard n° 15 « Le Baiser de l’Enfant-Jésus »
LisztÉtude d’exécution transcendante n° 9 « Ricordanza »
Albéniz« El Albaicin » extrait d’Iberia (3e cahier)
GranadosAllegro de concert, opus 46
TchaïkovskyNocturne opus 10 n° 1 – Août et Octobre (extrait des Saisons, opus 37a), Méditation opus 72 n° 5
Gounod/LisztValse de Faust
Alexandre Lory : piano

Le premier récital pour piano du Festival Les Nuits pianistiques d’Aix-en-Provence est confié à Alexandre Lory, jeune pianiste français, au jeu aussi multifacette – notamment intense et perlé – que l’ensemble de pièces, savamment rangées, qu’il semble avoi conçu comme une œuvre en soi.

Ainsi le programme se veut cohérent et éclectique. Selon l’étymologie de ce dernier terme, est éclectique celui qui « choisit », à bon escient, dans un ensemble. Ici les pièces de genre côtoient les extraits de cycle, les pièces didactiques – toujours poétiques – les transcriptions, la musique instrumentale, la musique vocale, enfin différentes nations musicales, de la Russie à la France, en passant par l’Espagne.

Seule l’interprétation, sensible, mesurée au cordeau, qu’en donne Alexandre Lory est à même de révéler le fil secret qui amarre souplement les œuvres entre elles.

Avec le quinzième Regard de Messiaen : « Le baiser de l’Enfant-Jésus », les regards se croisent entre les concerts, notamment celui qui a fait résonner dans l’église Saint-Jean de Malte le Quatuor pour la fin des temps de Messiaen. Ce grand portail d’entrée dans la musique, est abordé par l’interprète, du bout de la pulpe des doigts, faisant du piano un instrument à corde directement mises en vibration par la main humaine, sans le relais du mécanisme complexe de percussion qui mobilise chaque touche, noire ou blanche. Un halo de résonnance, tel un grand vitrail (rouge et mauve, comme les lumières de l’auditorium Campra), émane de la table d’harmonie de l’instrument. Le jeu d’Alexandre Lory, tout en caresse féline, s’étend et se rassemble sur le clavier, introduisant progressivement, à partir d’une ligne de chant, un ensemble d’ornements propres au langage de Messiaen (modes rythmiques et mélodiques, clusters incandescents), dont le plus récurrent et précieux, sera le trille. Ce dernier apparaîtra et disparaîtra tout au long du concert, constituant peut-être le geste signature d’Alexandre Lory. Le son est constamment réinjecté dans la résonnance de ce qui précède, tandis que le jeu de pédale vient ajouter ses murmures.

L’Étude d’exécution transcendante n° 9 « Ricordanza » de Liszt est enchaînée sans transition, selon la même technique de jeu legato, non seulement entre les notes, mais entre les œuvres. Un thème lyrico-grégorien, également présent, déclamé puis soumis à des paraphrases ornementales, vient exprimer, d’une manière distincte de Messiaen, un propos similaire : le souvenir douloureux d’un état de félicité, d’unité, dans le verbe divin. Là aussi, une ligne déclamée, pétrie d’émotion, entretient une tension palpable dans le medium du piano. Elle se couvre de cendres avant de s’enflammer à nouveau, tandis que les trilles sonnent comme un froissement d’aile de papillon.

Le fil du son, mélodico-lyrique, est tenu et retenu par le pianiste qui aborde son troisième opus : « El Albaicin », extrait du troisième cahier d’Iberia (3e cahier) d’Albéniz. Un climat plus sec vient assécher l’épanchement émotionnel lisztien, tandis que les mouvements de buste du pianiste se font plus amples. Une mélodie, qui est empruntée à la musique andalouse, se voit amplifiée, travaillée, par des ornements de guitare.

Mis à part l’Allegro de concert de Granados, plus « francisé », la forme des œuvres retenues est continue, afin d’épouser au plus près de l’humeur et du climat, le propos de chaque pièce. Avec cette pièce dite « de concert », Alexandre Lory montre sa capacité à ramener dans le cœur du piano, les amples volutes digitales qui semblent vouloir s’en échapper. Rien ne s’effiloche, mais vient à germer sous les gestes de semeur du pianiste.

Plusieurs pièces de Tchaïkovsky Nocturne opus 10 n° 1, Août et Octobre (extrait des Saisons, opus 37a), Méditation opus 72 n° 5 – poursuivent ce grand voyage entre les nations, dans la dentelle du Nocturne, le dessin des Saisons, la profondeur de la Méditation. Toute notion de pianisme se voit abolie, ce qui est dû en partie au toucher d’Alexandre Lory, promenade ou course des pulpes digitales sur le clavier depuis les gestes souples et ronds de son buste, depuis l’épaule jusqu’au coude et au poignet.

Mais il se montre capable d’assumer la rudesse de la transcription depuis l’orchestre d’opéra,
avec la paraphrase de la Valse de Faust de Gounod par Liszt, convoqué une deuxième fois (puis une dernière avec le bis, transcription d’un prélude de Bach). Les bras semblent s’ouvrir en delta pour irriguer une musique de grande amplitude. Mais là également, la mélodie, et son ornement par le trille, quasi céleste, effectué avec un petit mouvement de colibri, termine en apothéose le programme conçu par l’interprète.

Un thème central, dans le médium le plus parlant du piano, détient toujours une intensité méditative, et se voit soumis à des amplifications digitales et décoratives, balayant parfois l’intégralité du clavier. Avec de grands souffles perceptibles, le pianiste semble vouloir « réveiller le dragon » qu’est le grand instrument noir, auréolé d’un halo de lumière sur la scène. Voilà ce qui constitue l’univers du pianiste, dans ce récital, en même temps qu’un principe musical universel. Il est fondé sur un dialogue, un échange serré, entre ces deux principes : la voix et son accompagnement.

Florence Lethurgez
Musicologue