auditorium campra aix en provence

Vendredi 6 août 2021 : 20 h 30

Soirée de musique de chambre
Beethoven, Pièces pour mandoline et piano
Thème et Variations en ré majeur (inédit), Adagio et Allegro en ut majeur, Adagio en mi bémol majeur
Vincent Beer Demander : mandoline
Anaït Serekian : piano
Schubert, Trio n° 1 en si bémol majeur, D. 898
Da-Min Kim : violon
Lev Sivkov : violoncelle
Samuel Parent : piano
Entracte
Beethoven, Quintette pour piano et vent en mi bémol majeur opus 16
Guillaume Deshayes : hautbois
Valentin Favre : clarinette
Yannick Maillet : cor
Frédéric Baron : basson
Hugues Leclère : piano

La deuxième semaine du Festival des Nuits pianistiques 2021 se clôture sur un concert de musique de chambre. La programmation continue à s’ouvrir à des sonorités rarement entendues avec le piano, comme la mandoline et le quintette à vents, et qui interprètent des œuvres écrites par de grands compositeurs-pianistes : Beethoven et Schubert.

Un tel florilège d’artistes est invité à partager le bonheur de jouer sur scène de la musique ce soir fait qu’il est impossible, dans le cadre de ces pages, d’en ébaucher la biographie. On ne peut qu’essayer, à travers les œuvres programmées, de souligner l’apport de chacun à ce kaléidoscope chambriste, qui clôture la deuxième semaine des Nuits pianistiques 2021.
On notera que le Festival, comme l’Académie, s’étendent cette année sur trois semaines, comme pour rattraper le temps – de pandémie – perdu pour l’art vivant qu’est la musique. On peut imaginer qu’il en sera de même, l’année prochaine, à l’occasion du trentenaire de cet événement culturel aixois, au rayonnement international.
La programmation fait également la part belle à Ludwig van Beethoven (1770-1827), dont les Nuits pianistiques n’ont pas pu fêter l’anniversaire en 2020 en raison de la pandémie. Et c’est un jeune Beethoven de vingt-six ans que l’on découvre lors d’un premier voyage sur les sentiers longtemps cachés, et tombés dans l’oubli, de son œuvre pour mandoline – instrument descendant du luth – et clavier – clavecin ou pianoforte. L’œuvre pour mandoline de Beethoven qui nous est parvenue se compte sur les doigts d’une main, dont deux Sonatines (Ut mineur et Ut majeur) en un seul mouvement, un Andante et variations en ré majeur, ainsi qu’un Adagio ma non troppo en mi bémol majeur.
Ces pages, pleines de surprises et de délicatesses, sont écrites pendant le séjour de Beethoven à Prague en 1796. Elles sont dédiées à la comtesse Joséphine von Clary-Aldringen dont il s’était épris. Elles se donnent comme une sérénade pour une belle qui écoute à son balcon les déclarations d’un prétendant qui tente de contenir sa fougue dans le format acoustique miniature de l’instrument. On pense, irrésistiblement, à Don Giovanni de Mozart et à l’air Deh vieni alla finestra (chérie, viens à la fenêtre), qui est parfois accompagné à la mandoline dans l’opéra. L’instrument est donc à la croisée du noble et du populaire, en particulier napolitain. La mandoline est à la mode en Europe à la fin du 18e siècle. Elle inspire de nombreux compositeurs, Hummel en particulier et son Concerto pour mandoline et orchestre en sol majeur. Mais un compositeur moderne tel qu’Arnold Schönberg l’a également utilisé, dans sa Sérénade dodécaphonique opus 24, écrite entre 1920 et 1924.
Joséphine, âgée de dix-huit ans, apprécie et joue, fort bien, de cet instrument. Il lui dédie un air de concert, plus connu : Ah ! perfido opus 65, car elle est également chanteuse. Ces partitions inconnues furent retrouvées dans le grenier du palais de l’époux de Joséphine, à moitié effacées par le temps long et la fine poussière. La mandoline usuelle en Europe, et donc à Prague, est accordée en quinte, et c’est sans doute pour cet instrument que Beethoven a composé ce répertoire.
Les deux interprètes nouent un dialogue serré et contrôlé, dans le vaste espace acoustique de l’auditorium Campra et l’usage d’un grand piano Steinway, à moitié fermé. Rien de tel que ces conditions pour faire jaillir de cette grande boite à musique qu’est l’auditorium, la noblesse et la grandeur d’une part, l’intimité et la délicatesse d’autre part, de ces pages précieuses. Il revient à Vincent Beer-Demander, avec une pointe constante d’humour, un engagement physique de « rock star », d’exposer le cantabile, les trémolos et les jets sonores, encadrés par un tempo régulier, dont est capable son instrument. Son jeu est comme électrique – mais non électrifié – en particulier quand Beethoven fait appel à des harmoniques. Les mouvements amples de balancement et les longues respirations de Vincent Beer-Demander, accompagnent et amplifient le potentiel sonore de l’instrument. Anaït Serekian, avec une douce modestie et beaucoup de plaisir, adapte au mieux son toucher, de manière à retrouver les couleurs graciles du pianoforte. Les deux parties s’entrelacent et laissent sur scène les empreintes de pattes de colombes.
La sérénade se prolonge, tandis que l’espace sonore s’amplifie progressivement, par le Trio n° 1 en si bémol majeur, D. 898, opus 99, pour piano, violon et violoncelle de cet autre grand compositeur, aussi malheureux en amour, qu’est Schubert. Il le compose en 1827, dans la foulée de son Trio n°2 en mi bémol majeur, plus célèbre pour avoir été la bande-son du film Barry Lyndon, de Stanley Kubrick. Le trio d’interprètes de la soirée, Da-Min Kim au violon, Lev Sivkov au violoncelle et Samuel Parent au piano sont d’autant plus crédibles dans leur « rôle » qu’ils semblent avoir l’âge de Schubert à l’époque de la composition. Ce trio expose les mêmes textures que le second, mais il est plus léger et labile ; il répond mieux au climat de la soirée. La forme de la sonate classique est respectée (Allegro moderato, Andante un poco mosso, Scherzo – Allegro, Rondo – Allegro vivace), pour une œuvre développée et qui s’exécute en une petite quarantaine de minutes. De fait, le temps chez Schubert s’étire, s’expanse, jusqu’à appeler les applaudissements du public entre les mouvements, tant ils constituent en eux-mêmes une totalité. Ils se donnent comme des chapitres du roman intérieur qu’exprime le compositeur, par la forme musicale et les trésors qu’elle contient. Schumann écrit, à propos de ce trio : « Toute la misère de l’existence s’évanouit comme par enchantement, le monde apparaît de nouveau paré de toute sa radieuse fraîcheur ». Les partenaires chambristes de la soirée construisent d’emblée, dès l’Allegro, l’équilibre sonore de leur trio, du fait de leur palpable complicité de jeu et de jeunesse. Les pizz des cordes et les lignes cristallines du piano préparent un mouvement lent, un Andante, qui déroule sa cantilène onirique et vibrante, apaisante et à fleur de peau. Suit le Scherzo, que l’on écoute avec des oreilles d’enfant, et qui appelle un engagement encore accru des interprètes. Il s’enchaîne à un Allegro vivace, de forme rondo, qui « décoiffe » les interprètes par son énergie rythmique et son ardeur thématique. On retient, tant chez Schubert que les interprètes qui le servent ce soir, l’art subtil du glissement thématique par changement d’éclairage harmonique. Le public, régénéré par ce bain de jouvence, applaudit les partenaires du trio avec un bel enthousiasme.
Beethoven revient après l’entracte, avec le Quintette pour piano et vent en mi bémol majeur opus 16, tandis que l’amplitude de l’espace chambriste grandit encore. Guillaume Deshayes au hautbois, Valentin Favre à la clarinette, Yannick Maillet au cor et Frédéric Baron au basson sont comme « quatre garçons dans le vent » que réunit la partie de piano d’Hugues Leclère. L’œuvre est composée vers 1796, et se veut être l’application, par Beethoven, de ce qu’il apprend et intègre du Quintette pour piano et vent K 452 de Mozart, de forme et tonalité similaire, laquelle convient très bien aux instruments à vent. Le jeune compositeur rend un hommage subtil à son ainé, en lui empruntant, dans le deuxième mouvement un air de Zerlina « Batti, batti, o bel Masetto » de Don Giovanni, qu’il découvre également lors de son voyage à Prague. L’amour, heureux comme impossible, semble être le fil conducteur de la soirée… Ludwig sera très sévère envers cette œuvre, car il la juge, en toute humilité, inférieure à celle de son modèle. Mozart, quant à lui, considérait son Quintette comme son chef-d’œuvre : « la meilleure chose que j’aie écrite de ma vie » écrit-il. Pourtant, le Quintette du jeune Beethoven recèle ses propres beautés, en particulier dans le mouvement lent, qui sera bissé, et qu’Hugues Leclerc arrive avec un bonheur digital palpable, à faire chanter. De cet orchestre pour vent miniature, dont le piano est le directeur, Beethoven expose les qualités concertantes de chaque instrument par des traits virtuoses, ainsi que la beauté de leurs alliages à la vibrante couleur d’ambre. Par la grâce et le talent des instrumentistes réunis ce soir, on entre dans le laboratoire du compositeur et dans ce havre de paix qu’est la musique.
Se dégage de cette nouvelle Nuit pianistique une aura particulière, ce dont témoigne la ferveur des applaudissements du public. La musique console le cœur des deux jeunes compositeurs, comme celui du public, affecté par la privation d’émotion partagée de notre temps présent.

Florence Lethurgez
Musicologue

Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence

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Jean-marc Luisada piano

Jeudi 5 août 2021 : 20 h 30

Récital de piano
Mozart, Un petit rien, Fantaisie en ré mineur, Glass harmonica adagio
Chopin, Mazurka en la mineur
Mozart, Sonate n° 11 en la majeur K.331
Chopin, Valse en la mineur, Grande valse brillante en mi bémol majeur opus 18, Fantaisie en fa mineur opus 49
Mozart, Un petit rien

Jean Marc Luisada : piano

Le Festival Les Nuits pianistiques aime l’alternance entre le récital de piano et les formations de chambre, les époques et les genres. Ce soir, le pianiste Jean-Marc Luisada, fidèle à l’esprit des lieux, propose un programme qui fait alterner les compositeurs Mozart et Chopin.

Le pianiste français Jean-Marc Luisada, également présent comme professeur de l’Académie qui se tient dans les lieux, propose un récital cousu main – de pianiste -, fondé sur un dialogue subtil entre des pièces composées par Mozart et Chopin. Comme à son habitude, Luisada déplace les codes du concert traditionnel, en jouant sur une chaise, avec partitions et tourneur, en l’occurrence tourneuse, de pages « obligé ». Il s’adresse au public comme s’il s’agissait d’invités, dans son propre salon. Il se montre d’une exquise courtoisie et ne manque pas de saluer, à la japonaise, sa tourneuse de page, avant même de saluer le public. En outre, sa conception du récital est thématique et signifie quelque chose. Il cherche à faire émerger des points de contact entre les deux compositeurs, sans tomber dans le piège de la comparaison. Deux essences musicales se répondent mutuellement. Elles se rencontrent, dans les œuvres sélectionnées par le soliste, sur un art de la vocalité humaine, à la croisée de la musique et du langage, du son et du sens.
Mozart encadre le programme du récital par un extrait d’une pièce très particulière : « Un petit rien ». Il provient de la musique du ballet-pantomime Les petits Riens, de Jean-Georges Noverre, maître de ballet au Palais-Royal, composée en 1778. Sur une basse d’Alberti, un thème en forme d’air, facilement mémorisable et chantable, est le « petit rien » de la soirée, transcrit pour piano par Renaud de Vilbac : un élément en apparence anodin, mais qui peut changer votre vie… Cet extrait de musique miniature, d’inspiration pastorale, interprété par Luisada avec délicatesse et rondeur, confère un esprit léger et ineffable à la relation qui se construit progressivement entre le pianiste et le public pendant le déroulement du concert. Un auditeur peut se mettre à penser à Zizi Jeanmaire, un autre – peut-être Luisada lui-même, fin connaisseur du 7e art – au film éponyme du réalisateur Raymond Leboursier, sorti en 1942, et qui utilise la musique de Mozart, arrangée par Georges Auric. En effet, dans ce film, différents personnages racontent leur vie en montrant combien un « petit rien » a pu changer leur destin. De fait, le voyage à Paris du jeune Mozart en 1778 n’aura rien de léger, avec le décès de sa mère et son échec professionnel dans la capitale française.
Suit donc la Fantaisie en ré mineur, pièce typique de l’Empfindsamkeit, ou style sensible, ce préromantisme qui a marqué les dernières décennies du 18e siècle, et qui s’opposait à la froide raison de l’Aufklärung, Les Lumières, qui rayonnait dans toute l’Europe. L’expression sensible prédomine et l’on sent, derrière ces pages, l’influence d’un des fils de Bach, Karl Philipp Emanuel, dont les fantaisies comptent parmi ses pages les plus célèbres et qu’admirait tant Mozart. On reconnaît dans cette pièce les silences parsemés, les contrastes de tempi et d’écriture, les modulations soudaines, l’opposition systématique entre le majeur et le mineur qui constitue une grammaire du style sensible qu’articule à merveille la gestuelle chorégraphique de Luisada. La fantaisie est le genre-clé de la soirée ; elle renvoie à l’imagination et à l’image, à cette forme de pensée concrète et immersive, dans laquelle nous plonge le récital.
Le timbre fruité de ce début de récital se couvre d’un léger duvet, avec la pièce suivante : la transcription pour piano du Glass harmonica adagio – l’harmonica de verre -, instrument aujourd’hui disparu. Un usage très particulier de la pédale droite du piano, qui entretient la résonance permet au pianiste et à son imagination de figurer le timbre tintinnabulant et voilé de ce curieux instrument, et d’explorer les registres aigu et suraigu du piano.
Le dialogue se noue, sans transition, avec Chopin. Il prend alors la parole avec sa Mazurka en la mineur, opus 19, n°4, Lento ma non troppo, composée entre les années 1830 et 1833. La mazurka est un genre qu’il travaillera tout au long de son existence, d’après une danse traditionnelle polonaise et son rythme caractéristique à trois temps. L’accentuation des temps faibles donne au phrasé sa passionnante liberté, ce rubato qui est un graal, pour le cercle fermé des spécialistes de Chopin. Entre froufrou délicat et bourdon rustique, le compositeur polonais trouve un équilibre entre expression mélancolique du moi et tradition collective. Un des ressorts du romantisme est l’exaltation du sentiment national. Il s’exprime dans cette Mazurka, comme un souvenir douloureux, mais transfiguré par la musique, de la terre natale. Chopin fera toute sa carrière de musicien en France, suite à l’échec de l’insurrection polonaise de 1830 et son écrasement par la Russie. Soudain, la musique s’arrête…
Et Mozart réapparait, en force, avec sa célèbre Sonate n° 11 en la majeur K.331. Il partage avec Chopin, lorsqu’il écrit cette pièce, le fait d’avoir quitté sa terre natale, pour se rendre à Paris, en 1778. Il dévoile ici sa facette plus classique. La structure de la forme sonate donne sa solidité et son aplomb aux thèmes graciles de la période pré-classique. Elle adopte le style français, avec son thème et variation, son menuet et son célèbre rondeau final, alla turca, pastiche d’un orchestre de janissaires turcs. Luisada en propose une interprétation légère, aérienne et élégante, afin de rester dans la couleur délicate du « Petit rien » initial.
Retour à Chopin, avec une autre danse, que le compositeur sublime pour le piano, la Valse en la mineur, sa toute première. L’opposition de tonalité (la majeur puis la mineur) ne semble pas fortuite. Plus encore que pour la mazurka, Chopin affranchit la valse, après Beethoven et Schubert, de sa fonction chorégraphique, pour en faire un véritable creuset de ses rêveries poétiques. Luisada enchaîne cette valse lyrique, intimiste, aux harmonies et rythmes recherchés, avec le second type de valses écrites par Chopin : la valse brillante, à la virtuosité tournoyante. La Grande valse brillante en mi bémol majeur opus 18 n’est pas une invitation à danser mais l’expression musicale d’un émerveillement du compositeur pour le mécanisme de double échappement, inventé par Erard, qui permet au pianiste de faire des notes répétées très rapidement… ce « petit rien » qui change tout. Composée en 1831, elle se développe en six parties et fait un large usage de motifs aux notes répétées, pour montrer le potentiel, la mécanique bien huilée de l’instrument.
Retour à la Fantaisie, de structure libre, et de vaste dimension chez Chopin, comme si le fil rouge de tout le récital, était la libre imagination d’un poète du piano, capable d’exprimer entre les notes, cet insaisissable « petit rien » qu’est l’émotion musicale. La Fantaisie en fa mineur opus 49, composée en 1841, est maintenant l’occasion d’explorer le registre le plus grave du piano, avec un rythme de marche funèbre, qui n’a plus rien de léger, de tendre ou de brillant. Elle devient progressivement fiévreuse et virtuose, balaye le clavier sur toute sa longueur, à force d’arpèges, octaves, déplacements et autres éléments démonstratifs, tout en restant, dans l’interprétation qu’en fait Luisada, dans l’ordre du discours et non celui du décor.
L’issue du récital glisse habilement sur le retour d’un extrait des « Petits riens » de Mozart. Il a la profonde légèreté d’une clé musicale qui ouvre et ferme le programme du concert.
Suite à des applaudissements nourris et scandés, la difficulté pour l’artiste est de trouver des bis qui viennent ré-entrouvrir puis fermer définitivement la porte. Luisada se montre généreux et inventif, avec une transcription due au pianiste Alexandre Tharaud de l’Adagietto de la cinquième symphonie de Mahler. Ses étirements sans fin de la matière sonore annoncent la remise en question de la tonalité, tandis que le deuxième bis, dû à Bizet, vient triomphalement la réinstaller, avec son thème qui déroule une gamme. Il s’agit d’un de ses Lieder sans parole, L’aurore.
La nuit pianistique s’achève sur la 2e Rhapsodie de l’opus 118 de Brahms, ce moment unique d’équilibre de l’écriture tonale entre contrainte et liberté. Le pianiste parle…

Florence Lethurgez
Musicologue

Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence

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les-nuits-pianistiques-4-aout

Mercredi 4 août 2021 : 20 h 30

Musique de chambre
Böhme, Concerto en mi mineur opus 18
Ropartz, Andante et Allegro
Enesco, Légende
Arban, Fantaisie sur la Traviata, Variations sur le Carnaval de Venise
David Guerrier : trompette
Samuel Parent : piano
Entracte
Schumann, Adagio et Allegro en la bémol majeur opus 70 pour cor et piano
Brahms, Trio en mi bémol majeur opus 40, pour piano, violon et cor
Laurence Monti, violon
David Guerrier : trompette et cor
Samuel Parent : piano

Ce mercredi 4 août, la musique de chambre est mise à l’honneur et se décline en heureux contrastes et raretés, depuis la trompette et le violon, les œuvres de Ropartz et Arban. Le tapis permanent de l’accompagnement du piano, l’interprétation par un même artiste de la trompette et du cor, confère sa brillante solidité au programme de la soirée.

Un changement dans le programme annoncé est largement compensé par la présentation orale, aussi efficace qu’humoristique que font David Guerrier, l’homme-orchestre, et Samuel Parent, l’accompagnateur-soliste. Les deux interprètes mettent des mots sur les œuvres qu’ils s’apprêtent à jouer, afin d’informer le public, et surtout, de construire une relation complice avec lui.
L’Adagio et Allegro en la bémol majeur opus 70 pour cor et piano, composé en 1849 par Schumann, fait partie des œuvres de chambre pour vent du compositeur, qui tiennent sur les doigts de la main. Mais elles font souvent la part belle au cor, qui bénéficie de progrès dans sa facture, avec l’ajout du mécanisme des pistons. L’instrument renvoie, avec sa chaleur à la fois intime et lointaine, aux horizons les plus romantiques. De fait, ces œuvres de chambre sont souvent dédiées et crées par Clara Schumann. L’œuvre, en deux volets, est d’ailleurs écrite comme cadeau de Saint-Valentin par Schumann. Assez directement associée aux sentiments de Robert pour Clara, elle allie sensibilité intérieure et ampleur de vue, lyrisme mélodique et rigueur du contrepoint. Elle demande aux deux interprètes de partir en quête de leur singularité tout en étant capables d’atteindre un état fusionnel, que ce soit dans le caractère élégiaque du mouvement lent et dans celui, plus ardent, parfois inquiet, de l’allegro. Cela se traduit par une écriture faite d’enlacements harmonieux. Notons que le corniste se tient de profil, afin de diriger le pavillon de l’instrument vers le public. Il existe une version piano et violoncelle de cette œuvre, transcrite également pour violon par le compositeur, qui aimait à jouer ces pièces de chambre dans son salon, en fonction des amis musiciens présents à la soirée. À ce propos, Schumann rencontre Brahms en 1853. Il déclarera : « Brahms est venu me voir, un génie. »
Aussi, pour permettre à David Guerrier de reprendre ses forces et son souffle, le pianiste Samuel Parent, avec le 2e Intermezzo, op. 118, nous fait entrer dans l’univers de Brahms. Ces six pièces sont composées en 1893, et sont dédiées à et créées par l’épouse de Schumann, la grande pianiste et compositrice Clara. La pièce retenue est typique des œuvres tardives du compositeur, aussi méditatives qu’introspectives. Elle est une « berceuse de sa douleur », aux ondoiements fluides, aux étirements lyriques contenus. Elle concentre l’écoute.
En conclusion de cette première partie de programme, à géométrie variable, le duo s’étoffe d’une troisième partenaire chambriste, avec la violoniste Laurence Monti. Les interprètes s’emparent du Trio en mi bémol majeur, opus 40, pour piano, violon et cor, composé par Brahms, de 1864 à 1865. David Guerrier rappelle que Brahms jouait lui-même de ces trois instruments. La formation instrumentale, rare, correspond donc à l’univers sonore directement pratiqué par le compositeur. Le piano avec ses potentiels de résonance assure une médiation entre le violon et le cor. L’œuvre, d’une durée d’exécution d’environ 30 minutes, est structurée en quatre mouvements, selon le schéma habituel de la forme sonate (Andante, Scherzo, Adagio mesto, Finale : Allegro con brio). Mesto est une allusion à la tristesse du compositeur, très touché par le décès de sa mère, rappelle David Guerrier. Le compositeur s’inspire également de la Forêt noire, et exprime un sentiment de la nature, cher aux Romantiques. L’œuvre en restitue les moments de clarté solaire et d’ombre humide. C’est sans doute pour cela que le compositeur destine cette partition au cor naturel, alors que la facture instrumentale a, depuis longtemps déjà, doté le cor de pistons et de clés. Il revient à l’interprète d’en restituer le timbre plus sylvestre et sereinement mélancolique, avec son instrument moderne, ce qu’accomplit sans peine David Guerrier, par ailleurs attentif à interpréter les œuvres sur instrument d’époque. Ce soliste protéiforme, qui joue ce soir du cor, de la trompette et du cornet à pistons, instruments qui font appel à des techniques différentes, s’essaye également au tuba, au trombone, au violon, ainsi qu’à l’ophicléide (gros instrument à vent de la famille des cuivres, dont l’étymologie vient du grec ophis : serpent, et kleidos : clé -. Il change alors de place, afin de diriger le pavillon de son instrument vers le fond de la scène, de manière à obtenir une sonorité plus ouatée et développer, avec ses partenaires, de longues plaintes et plages sonores. Dans le scherzo, particulièrement virtuose, le moindre décalage pourrait être perçu. Laurence Monti semble insuffler le tempo, et diriger, depuis son archet, telle une baguette de chef d’orchestre, ses deux partenaires.
Après l’entracte, viennent des pièces de compositeurs moins connus, écrites spécifiquement pour exposer le potentiel sonore, expressif et virtuose de la trompette et du cornet à pistons.
L’Andante et Allegro du compositeur-organiste français Joseph-Guy Ropartz (1864-1955), est une œuvre de circonstance et de bravoure, composée pour le concours de sortie du Conservatoire de Paris, selon l’usage avant 1900. Il est vrai que Ropartz connait bien la maison, puisqu’il a quitté la classe de composition de Massenet pour entrer dans celle d’orgue de Franck. Il est un compositeur épris de toutes les couleurs instrumentales, de leurs timbres et modes de résonance propre, dont le trompettiste délivre ce soir sa propre palette. On apprécie, dans les parties vocales, l’ampleur et le soyeux d’un timbre qui se rapproche effectivement de la voix d’opéra.
Ropartz se lie d’amitié, en classe de composition, avec Georges Enesco, né en Moldavie roumaine en 1881 et mort en 1955 à Paris. Ce compositeur-pianiste et violoniste – qui sera le professeur de Menuhin – écrit une Légende en do mineur, pour le concours de sortie de 1906 du Conservatoire de Paris. La démonstration de virtuosité est donc encore au rendez-vous, notamment par une extension de la tessiture, de la « plage de jeu », et les diminutions rapides de la « ligne de jeu ». Mais elle reste nimbée par le style impressionniste de l’époque, ses sonorités rendues moelleuses par l’usage de la sourdine, ainsi que par l’enchainement d’affects et de climats, que le compositeur précise sur la partition : doux, grave, hésitant, pathétique, gracieux, mouvement agité, chantant, vif, furieusement, rêveur.
L’impasse est faite de l’œuvre initialement prévue d’Oskar Böhme (1870-1938) : son Concerto en mi mineur opus 18, de manière à insérer un autre intermède purement pianistique, avec la Sonatine de Ravel, composée entre 1903 et 1905. Œuvre ciselée, à la mécanique précise et sensuelle, aux intervalles typiques, elle est écrite à la même époque que celle de Ropartz, mais à l’occasion d’un concours de composition. C’est donc ici l’œuvre elle-même qui est mise au concours, et Ravel y démontre, sous les doigts de Samuel Parent, la finesse virtuose de son écriture.
Le concert s’achève sur un changement de genre, avec le thème et variations, et d’instrument, avec le cornet à pistons. Nous quittons le sérieux des concours pour les joies libres du carnaval, même si le compositeur-cornettiste français Jean-Baptiste Arban (1825-1889) est également un infatigable enseignant et concepteur de cet instrument. Les Variations sur le Carnaval de Venise s’inspirent du compositeur-violoniste Paganini, et non de l’opéra éponyme de l’aixois Campra… La pièce est fondée sur une mélodie populaire napolitaine : Oh Mamma, Mamma Cara sur laquelle Paganini a écrit vingt variations pour violon. Arban poursuit l’expérience, mais pour le cornet. Le jeu de chassé-croisé qui s’opère à l’échelle du Festival est tel que, le Souvenir de Paganini de Chopin, dédié à Paganini, est aussi une variation sur ce thème. En outre, David Guerrier précise que Berlioz ajoutera un cornet « obligé » au Bal de sa Symphonie fantastique, après avoir entendu jouer Arban. L’interprétation est l’objet d’un jeu de scène et de sons irrésistible entre les deux musiciens-acteurs. L’imperturbable pianiste accompagne de son même « refrain », son corniste, qui bricole et caracole avec son instrument.
Retour au calme avec l’Ave Maria de Schubert, donné en bis, qui permet, une dernière fois, d’apprécier la vocalité soyeuse du cornet.
Une nouvelle nuit, dédiée aux sonorités rares, tombe avec douceur sur le Festival.

Florence Lethurgez
Musicologue

Auditorium Campra du conservatoire Darius Milhaud : 380 avenue Mozart, 13100 Aix-en-Provence

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